Cellulite faciale consécutive à une invagination dentaire (dens invaginatus) : une étude de cas

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SOMMAIRE

Nous décrivons un cas de dent invaginée dans une incisive latérale supérieure permanente n'ayant pas fait éruption, qui a causé une cellulite faciale chez une fillette de 10 ans. Nous discutons de l'importance de reconnaître une dent invaginée et proposons des stratégies pour prévenir la perte de vitalité de la dent atteinte.


Introduction

L'une des nombreuses anomalies du développement des dents – la dent invaginée (dens invaginatus ou dens in dente) – a pour effet d'altérer la forme de la dent en développement, d'une manière qui rend la dent plus sensible à la carie et à l'infection1. Suivant le degré d'atteinte, la dent invaginée peut rester incluse et l'anomalie peut passer inaperçue jusqu'à ce qu'une infection se déclare1. Cet article présente un cas de dent invaginée non diagnostiqué qui s'est manifesté sous forme de cellulite faciale. Nous passons brièvement en revue la documentation courante sur cette anomalie dentaire, discutons des manifestations cliniques pouvant aider au diagnostic de la dent invaginée et proposons des stratégies pour prévenir la perte de vitalité de la dent.

Étude de cas

Une fillette de 10 ans en bonne santé s'est présentée à l'urgence d'un hôpital pour enfants de soins tertiaires en raison d'un œdème facial, d'un malaise généralisé et d'une température subfébrile. La veille, la patiente s'était plainte d'un mal de dent qui avait été soulagé par des analgésiques. Le lendemain matin, la fillette présentait à son réveil de l'œdème et de l'érythème du côté droit du visage. L'œdème s'étendait du côté droit de la lèvre supérieure jusqu'au maxillaire supérieur droit, profondément dans la zone infraorbitaire droite. Sa température tympanique était de 38,7 ˚C. Une consultation avec le service de dentisterie pédiatrique a été demandée pour trouver l'étiologie de l'œdème facial. L'examen des antécédents dentaires de la patiente a confirmé que celle-ci recevait des soins dentaires régulièrement et qu'elle n'avait subi aucune restauration récente ni aucun traumatisme dentaire ou facial.

Examen clinique

Ill. 1 : Vue préopératoire extraorale de la patiente montrant la cellulite faciale du côté droit.



L'examen extraoral (ill. 1) a révélé un œdème érythémateux avec atteinte des zones infraorbitaire et canine, perte du sillon nasogénien et ecchymose infraorbitaire du côté droit du visage. À l'examen intraoral, le vestibule supérieur droit était oblitéré et une fistule de drainage était apparente sur la face vestibulaire de la crête alvéolaire, à la position de l'incisive latérale supérieure droite permanente (dent 12). La patiente avait une dentition mixte appropriée à son âge. Cependant, la dent 12 n'avait pas encore fait éruption, malgré la présence d'une petite brèche dans la gencive à la position prévue. Du côté opposé, l'éruption de la dent 22 était complétée. L'examen clinique n'a révélé aucune lésion carieuse ni aucune restauration dans la zone atteinte.

Examen radiographique

Une radiographie panoramique (ill. 2) et une radiographie occlusale supérieure (ill. 3) ont été obtenues pour orienter le diagnostic. À la position de la dent 12 incluse se trouvait une structure odontoïde dysmorphique, radio-opaque et bien définie, d'environ 1,0 cm de diamètre, en grande partie contenue à l'intérieur de l'os alvéolaire. La structure était essentiellement radio-opaque, à l'exception de 2 zones radioclaires distinctes reliées par une épaisse structure radioclaire. Toutes les autres observations radiologiques étaient dans les limites de la normale. Les radiographies n'ont montré aucune lésion carieuse.


Ill. 2 : Radiographie panoramique préopératoire montrant la dent invaginée (encerclée).

Ill. 3 : Radiographie occlusale supérieure droite montrant une dent invaginée à la position de la dent 12.




Diagnostic

Un diagnostic de cellulite faciale consécutive à une infection due à une dent invaginée (dens invaginatus) de type III de la dent 12 incluse a été posé. Comme la dent n'avait pas fait éruption, le diagnostic a été fondé sur les observations radiologiques montrant une dent dysmorphique avec 2 zones radioclaires distinctes identifiées comme étant les chambres pulpaires. Pareille infection dans une dent perçant à peine la gencive laisse supposer une exposition anormale de la pulpe de cette dent.

Traitement

Un accès intravasculaire a été pratiqué et de la clindamycine a été administrée à la patiente par voie intraveineuse toutes les 8 heures, selon une posologie quotidienne totale de 40 mg/kg. La dent 12 a été exposée et extraite par voie chirurgicale sous anesthésie générale (ill. 4), et une incision et un drainage ont été effectués dans la zone de l'œdème intrabuccal fluctuant. Environ 3 mL d'exsudat purulent ont été drainés et des échantillons ont été prélevés pour des cultures en aérobiose et anaérobiose et antibiogrammes. La dent extraite (ill. 5 et 6) a été envoyée au service de pathologie de l'hôpital, conformément aux normes gouvernementales. Le site d'extraction a été nettoyé à la curette et suturé avec du catgut ordinaire 3-0. L'hémostase a été obtenue rapidement et la perte de sang a été minimale. La patiente est retournée à la salle de réveil en bon état et elle a obtenu son congé de l'hôpital plus tard la même journée. Elle est revenue à l'hôpital pour recevoir 2 autres doses de clindamycine par voie intraveineuse au service de consultations externes.

Ill. 4 : Vue peropératoire durant l'exposition chirurgicale de la dent invaginée.

Ill. 5 : Spécimen extrait, vue supérieure.

Ill. 6 : Spécimen extrait, vue mésiale.




Suivi

La patiente a été réévaluée à la clinique dentaire le lendemain, auquel moment une nette amélioration de la cellulite a été observée. La patiente était toujours afébrile; elle se sentait bien dans l'ensemble et son apport hydrique était adéquat. L'accès intraveineux a été retiré et de la clindamycine par voie orale lui a été prescrite pendant 7 jours. La résolution de la cellulite a été confirmée par téléphone quelques jours plus tard. Le rapport de pathologie a révélé la présence de cellules polymorphonucléaires et de cocci Gram positif, ainsi qu'une faible croissance de bactéries aérobies et anaérobies normales des voies respiratoires.

Discussion

La dent invaginée est une anomalie du développement des dents, dont l'incidence varie de 0,3 % à 10 % et qui touche principalement l'incisive latérale supérieure1. Les données visant à déterminer si cet état est généralement unilatéral ou bilatéral sont contradictoires1. Lorsque cette anomalie survient, l'involution de l'organe de l'émail dans la papille dentaire se produit avant la calcification des tissus. La progression de cette anomalie donne lieu à une invagination bordée par de l'émail à l'intérieur de la couronne ou de la racine de la dent2.

Oehlers3 décrit 3 manifestations de cette anomalie. Dans le type I, l'invagination se limite à la portion coronaire de la dent et, dans le type II, elle s'étend au-delà de la jonction amélocémentaire et peut atteindre la pulpe. Enfin, dans le type III, l'invagination s'étend sur toute la longueur de la racine et communique avec les ligaments parodontaux, soit au niveau apical ou latéral. Malgré l'absence de connexion avec la chambre pulpaire, l'invagination de type III permet une communication directe entre le milieu buccal et les tissus périradiculaires1,2.

La morphologie de la dent invaginée peut varier d'une dent en apparence normale dont l'invagination est indiscernable à une dent plus grosse à l'intérieur d'une autre dent (dens in dente) ou à une masse plutôt dysmorphique désignée odontome dilaté4. En raison de leur morphologie, les dents invaginées peuvent présenter des caries impossibles à restaurer, une nécrose pulpaire avec accès difficile au canal radiculaire et une infection des tissus périradiculaires5.

La cellulite, ou l'exacerbation aiguë d'une infection bactérienne, n'est pas rare chez les enfants et, si elle n'est pas traitée adéquatement, la cellulite de la région de la tête et du cou peut entraîner des complications systémiques plus graves, incluant la septicémie, l'obstruction des voies respiratoires, l'atteinte du système nerveux central et même la mort6. Au moins 50 % des cas de cellulite faciale qui ont été signalés chez des enfants étaient dus à des infections odontogènes7. Pour traiter la cellulite, il est important de localiser et de traiter la source de l'infection, même si cela est parfois difficile8.

L'observation clinique la plus importante dans le cas présent a été la non-éruption ou l'absence de l'incisive latérale supérieure alors que la dent controlatérale était présente. Lorsque l'éruption d'une dent accuse beaucoup de retard par rapport à celle de la dent controlatérale, un examen clinique et radiographique complet est justifié9,10. Si cette anomalie avait été détectée plus tôt, le potentiel d'éruption limité de la dent aurait pu être établi et une extraction non urgente aurait pu être planifiée, ce qui aurait peut-être permis d'éviter la cellulite faciale et le traitement d'urgence.

La forme visiblement anormale des dents invaginées faisant éruption dans la cavité buccale peut être le premier signe de cette anomalie. Un puits ou un sillon profond peut être présent sur la face linguale, et l'examen clinique peut révéler la présence de tartre ou de carie. Une radiographie est nécessaire pour confirmer la présence des manifestations classiques de cette anomalie4. Si la pulpe de la dent est vivante au moment du diagnostic, un scellant ou un matériau de restauration peut être appliqué sur la face linguale pour obturer le puits ou le sillon et prévenir ainsi l'entrée des bactéries dans les tissus pulpaires11. La dent devra ensuite être surveillée sur une longue période pour s'assurer que sa pulpe demeure vivante12.

Cette patiente présentait une cellulite faciale consécutive à une dent invaginée qui n'avait pas fait éruption. Le traitement endodontique n'a pas été considéré comme une option adéquate à cause de la morphologie de la dent et du retard d'éruption9.

Le traitement endodontique peut être envisagé dans le cas d'une dent invaginée qui a fait éruption et qui présente un abcès chronique ou aigu. Enfin, la consultation d'un spécialiste peut être indiquée compte tenu des difficultés techniques susceptibles d'être causées par l'anatomie inhabituelle de la dent13.

Conclusions

La dent invaginée est une anomalie de forme dont de multiples morphologies ont été décrites dans la littérature. Les dents invaginées peuvent faire éruption ou rester incluses. Dans les deux cas, un diagnostic clinique et radiologique précoce est important. S'il y a lieu, il peut être indiqué de tenter de préserver la vitalité de la dent par la restauration de la zone invaginée ou l'application d'un scellant. Si la dent perd sa vitalité, le traitement endodontique peut être une option. Dans certains cas, l'extraction urgente ou non urgente de la dent atteinte peut s'avérer nécessaire.

LES AUTEURS

La Dre Arsenault est une dentiste généraliste offrant des soins au Nunavut. Elle était résidente en pratique générale à la Division de dentisterie pédiatrique de l'Université Dalhousie et au Département de médecine dentaire du Centre de soins de santé IWK, à Halifax (Nouvelle-Écosse) lorsque cet article a été rédigé.

Le Dr Anderson est professeur adjoint et directeur à la Division de dentisterie pédiatrique, Université Dalhousie, et directeur de la médecine dentaire au Département de médecine dentaire, Centre de soins de santé IWK, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

La Dre Dyment est professeure adjointe à la Division de dentisterie pédiatrique, Université Dalhousie, et dentiste pédiatrique membre du personnel au Département de médecine dentaire, Centre de soins de santé IWK, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

La Dre MacLellan est professeure adjointe à la Division de dentisterie pédiatrique, Université Dalhousie, et dentiste pédiatrique membre du personnel au Département de médecine dentaire, Centre de soins de santé IWK, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

La Dre Doyle est professeure adjointe à la Division de dentisterie pédiatrique, Université Dalhousie, et dentiste pédiatrique membre du personnel au Département de médecine dentaire, Centre de soins de santé IWK, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

Écrire à la : Dre Murielle Arsenault, a/s Université Dalhousie, Département de médecine dentaire, Centre de soins de santé IWK, 5850/5980, av. University, C.P. 9700, Halifax (Nouvelle-Écosse) B3K 6R8.

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Références

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