Les communautés de pratique de l’Université Dalhousie : Partie 1. Les modèles d’enseignement et de service

Date
Body

La Faculté de médecine dentaire de l'Université Dalhousie reconnaît que ses efforts visant à améliorer l'accès aux soins dentaires s'inscrivent dans le cadre d'un mouvement axé sur la santé auquel adhèrent les secteurs privé et public, et tous les professionnels de la santé. L'accès aux soins, y compris les soins dentaires, est une question multidimensionnelle complexe, qui requiert des solutions aussi variées et complexes1,2. Beaucoup de gens souffrant de maladies et de problèmes liés à leur santé se heurtent à des obstacles qui les empêchent d'avoir accès aux soins dont ils ont besoin. L'absence de soins dentaires adéquats est un problème qui se vit ici même au Canada3-5, comme dans les pays en développement.

Pour l'équipe de la Faculté de médecine dentaire, l'amélioration de l'accès aux soins dentaires commence sur le campus et sort de l'enceinte universitaire pour viser la population de la Nouvelle-Écosse, les provinces voisines et d'autres pays du monde. Le Dr Tom Boran, doyen de la Faculté, fait de l'accès aux soins le thème visant à aller de l'avant dans son établissement :

Notre faculté a fait ses preuves en matière d'action communautaire en venant en aide à diverses populations vulnérables. Nous faisons également des progrès auprès de nos étudiants en tentant de les sensibiliser à toute la question entourant l'accès aux soins. Nous voulons qu'ils se demandent «quels sont les besoins?» et «comment puis-je contribuer à y répondre?». Nous devons aborder la question de l'accès aux soins dans le cadre de la recherche, du service et de l'enseignement.

Il y a longtemps que la Faculté prodigue des soins dentaires à la population et établit des partenariats innovateurs et propices à l'amélioration de l'accès aux soins. Parmi ses initiatives les plus récentes, elle compte la formation de communautés de pratique en collaboration avec des dentistes et d'autres membres de la collectivité. Chaque communauté de pratique est une expérience vivante pour tous les participants6. Des réseaux officieux, à participation volontaire, peuvent procurer une expérience éducative positive aux étudiants, aux patients et à la collectivité7. Ces groupes d'action communautaire peuvent mener à la création de nouveaux modèles de soins dentaires qui contribueront à atténuer les exigences grandissantes qui sont imposées à nos systèmes actuels de soins dentaires8.

Communautés de pratique à l'échelle locale

C'est dans la région d'Halifax que se concentrent principalement les efforts de la Faculté visant à améliorer ou à accroître les services de soins dentaires. Les divers programmes mis sur pied profitent aux enfants d'âge scolaire, aux personnes âgées, aux nouveaux immigrants et aux personnes nécessitant des soins urgents, de même qu'aux étudiants et aux professeurs qui y participent.

Cliniques dentaires en milieu scolaire

La santé buccodentaire fait partie des principales priorités de 2 écoles de la région d'Halifax visées par la Faculté de médecine dentaire. Des élèves de l'école Harbour View, située dans le centre-ville de Dartmouth, et de l'école élémentaire Nelson-Whynder, dans le quartier majoritairement afro-canadien de North Preston, sont traités dans des cliniques en milieu scolaire par des étudiants de 1er cycle en médecine dentaire, sous la supervision d'un dentiste pédiatrique. Des étudiants en hygiène dentaire prodiguent également des soins à l'école Harbour View. Ouvertes 3 jours par semaine durant l'année scolaire, les cliniques sont habilement soutenues par une équipe dévouée d'employés bénévoles de la Faculté. Les écoles ont été choisies (Harbour View au début des années 1980 et Nelson-Whynder au milieu des années 1990) à cause de la vulnérabilité socioéconomique des personnes qui résident dans leur aire de recrutement. Le faible statut socioéconomique est l'un des principaux déterminants des besoins non satisfaits en matière de soins de santé buccodentaire. Les membres de la communauté et les directeurs de ces écoles sont des champions qui comprennent les enjeux et ils font équipe avec l'Université Dalhousie pour y faire face.

Quand nous allons dans ces écoles, nos étudiants vivent des expériences cliniques parmi les plus enrichissantes. Nous apportons des soins à la communauté et desservons une population qui, autrement, pourrait ne jamais avoir accès à des soins. La majorité des enfants nécessitent beaucoup de travail. – Dr Ross Anderson, chef de la Division de dentisterie pédiatrique

Clinique de soins aux personnes âgées

La Clinique de soins aux personnes âgées de l'Université Dalhousie, qui, à l'époque où elle a été fondée au milieu des années 1990 était axée sur l'action communautaire, est destinée aux personnes âgées frêles. Les futurs dentistes et hygiénistes y travaillent ensemble dans des conditions qui s'apparentent beaucoup à celles de la pratique privée. Dans le cadre de consultations ou sur recommandation, les patients ont accès à des spécialistes, y compris des chirurgiens buccaux et des prosthodontistes. La prestation de soins à ces patients exige plus de temps, car beaucoup ont plus de 75 ans, prennent de nombreux médicaments et ont souvent des problèmes de mobilité ou une légère déficience cognitive.

[Notre clinique] permet à nos étudiants d'acquérir une expérience pratique auprès de patients dans le besoin, qu'ils soient en perte d'autonomie, handicapés ou qu'ils aient des antécédents médicaux complexes, dans un environnement où le soutien est un service important. Ces patients ont l'avantage d'avoir accès à une clinique où l'on répond à leurs besoins particuliers. – Dre Mary McNally, professeure agrégée et superviseure, Clinique de soins aux personnes âgées

Clinique pour réfugiés d'Halifax

Pour les personnes qui vivent dans des pays ravagés par la guerre, la famine et la maladie, la santé buccodentaire n'est sans doute pas une priorité importante. Quand ces personnes arrivent au Canada, leur santé buccodentaire reste souvent déficiente, en partie à cause des barrières linguistiques, des différences culturelles ou des difficultés financières. Un nouveau programme destiné aux étudiants de 2e année de l'École d'hygiène dentaire de l'Université Dalhousie contribue à résoudre ce problème. En 2009, les étudiants ont commencé à traiter des patients de la Clinique pour réfugiés d'Halifax.

Il peut y avoir un obstacle à la communication, selon la langue de la personne immigrante. Les clients peuvent avoir eu un accès très limité aux soins dentaires… juste le fait d'aller dans un cabinet dentaire peut les amener à surmonter une courbe d'apprentissage. Pour les étudiants en hygiène dentaire, c'est l'occasion de travailler auprès de patients qui ont des besoins plus exigeants, étant donné qu'ils ne consultent pas de dentiste régulièrement, voire jamais. – Professeure Nancy Neish, directrice de l'École d'hygiène dentaire

Les futurs dentistes font maintenant leur part pour aider aussi les réfugiés. La Dre April Nason du Département des sciences cliniques dentaires a amorcé un programme pilote visant à jumeler les clients de la clinique à des étudiants de 4e année de la Faculté. Elle vise à long terme à établir des liens semblables avec des maisons de transition, des maisons de refuge pour femmes battues et des sans-abris de la région d'Halifax, ainsi qu'à faire du stage un élément obligatoire du programme d'études.

Cliniques de soins dentaires d'urgence

La Dre Nason et son collègue, le Dr Chris Lee, gèrent un service d'appels visant à répondre aux urgences dentaires en dehors des heures de bureau. Deux étudiants sont chargés de rappeler les personnes qui logent l'appel, d'examiner leur cas avec le dentiste en service et de déterminer les mesures à prendre. La clinique est principalement destinée aux personnes qui n'ont pas de dentiste.

Quand des personnes souffrantes entrent dans votre cabinet au milieu d'une journée très chargée, c'est très difficile à gérer. Gérer ce genre de situation en temps opportun et libérer les patients de leurs souffrances, ce qui, à mon avis, est probablement l'une des choses les plus importantes que nous pouvons faire en tant que dentistes, est ce que nous tentons d'apprendre à nos étudiants. – Dr Chris Lee, professeur adjoint et gestionnaire de la clinique de soins d'urgence

Les étudiants ont aussi commencé à traiter des patients hospitalisés, en attente d'une greffe du foie, de rein ou du coeur. «Vous devez posséder les compétences non seulement pour faire face aux situations d'urgence, mais aussi pour réconforter les patients et faire en sorte qu'ils comprennent ce qui se passe», souligne le Dr Lee.

Résidence en dentisterie générale

Le Dr Lee supervise également un nouveau projet de résidence en dentisterie générale à la Faculté. Les résidents y apprennent non seulement la dentisterie hospitalière, mais aussi à prodiguer des soins à des patients ayant une santé fragile. Un programme du genre peut contribuer à répondre aux besoins de patients adultes qui ne peuvent plus obtenir des soins spécialisés au Centre de santé IWK dès qu'ils ont dépassé l'âge d'admissibilité.

Les résidents seront formés par des chirurgiens buccaux, des parodontistes, des endodontistes, des prosthodontistes et d'autres spécialistes. Prévu pour 2011, le programme de résidence prendra la forme d'une clinique universitaire à laquelle auront accès des patients traités en milieu hospitalier. Bien que des programmes semblables existent déjà au Canada, celui de l'Université Dalhousie sera le premier à voir le jour à l'est de Montréal. Il visera notamment les patients atteints du cancer de la tête et du cou, les patients ayant reçu une greffe de moelle osseuse et les patients atteints de leucémie.

Stages pratiques à l'extérieur de l'université

La Dre Joanne Clovis dispense aux étudiants de 1re année en médecine dentaire et à ceux de 2e année en hygiène dentaire un stage d'initiation à la promotion de la santé buccodentaire et à la prévention des maladies buccodentaires. «Une approche fondée sur la promotion et la prévention vise à améliorer l'état de santé et à réduire les inégalités qui existent entre les groupes de populations en matière de santé», affirme la Dre Clovis. Dans le cas des étudiants en hygiène dentaire, les stages pratiques à l'extérieur de l'université contribuent à approfondir les notions apprises en classe et facilitent l'établissement de liens significatifs au sein de la collectivité. Chaque année, des étudiants de cycle supérieur en hygiène dentaire se rendent dans une cinquantaine de classes d'écoles primaires, la plupart situées dans le centre-ville d'Halifax ou dans des quartiers à faible statut socioéconomique, afin d'y donner des consignes aux élèves sur la santé buccodentaire. Les étudiants vont également dans des centres de jour, des foyers collectifs et des établissements de soins de longue durée d'Halifax afin de donner des soins de santé buccodentaire et des consignes en la matière à une cinquantaine de groupes de personnes âgées ou à leurs fournisseurs de soins. Afin d'atteindre le grand public, les étudiants conçoivent des présentations dans des centres commerciaux à l'intention de différents groupes d'âge et groupes sociaux à Halifax. Les sujets abordés sont issus des démonstrations cliniques présentées par des étudiants, qu'on transpose dans des messages publics en utilisant les principes de la littératie en santé.

Communautés de pratique à l'extérieur de la province

Programme de formation externe de Labrador-Grenfell

La Faculté de médecine dentaire de l'Université Dalhousie fait aussi sa marque ailleurs au Canada. Depuis 1988, l'École d'hygiène dentaire dirige un programme de formation externe en collaboration avec l'autorité de santé de Labrador-Grenfell au nord de Terre-Neuve. Chaque année, de 6 à 10 étudiants de 4e année en hygiène dentaire prennent part à un stage de 2 semaines dans 1 de 4 municipalités, soit St. Anthony, Flower's Cove et Roddickton à Terre-Neuve, et Forteau au Labrador. Les étudiants améliorent leurs compétences en oeuvrant auprès de patients qui, pendant longtemps, ont souffert d'une pénurie de services d'hygiène dentaire.

Deux jeunes patients à la clinique dentaire de Hopedale, au Labrador, en avril 2009.

Les étudiants acquièrent une expérience clinique qui, en général, n'est pas offerte à Halifax. Ils traitent habituellement des patients plus difficiles et des maladies buccodentaires plus nombreuses, et travaillent dans des régions plus isolées, auprès d'une population différente. – Dre Joanne Clovis, coordonnatrice du programme de formation externe de Labrador-Grenfell

Les étudiants participent habituellement à des programmes de prévention en milieu scolaire et communautaire, travaillent avec une infirmière ou un infirmier en santé communautaire, et assistent à des chirurgies buccales et maxillofaciales en milieu hospitalier à titre d'observateurs. Ils en profitent également pour échanger des idées et parler de leur expérience avec des étudiants en médecine, en soins infirmiers et en physiothérapie qui suivent des stages dans la région.

Remplacements au Labrador

Un peu plus haut, sur les côtes du Labrador, la Dre Frances Tompkins, professeure à temps partiel, travaille en collaboration avec le gouvernement Nunatsiavut depuis quelques années afin de fournir des soins dentaires essentiels aux résidents de 2 des 5 collectivités inuites du Nord. La Dre Tompkins, qui se rend dans la région toutes les 5 semaines pour une durée de 7 à 11 jours chaque fois, est accompagnée d'une assistante et d'une hygiéniste.

Les Drs David Precious et Reginald Goodday discutent des soins chirurgicaux à prodiguer à un jeune enfant avec leur collègue vietnamienne, la Dre Viet.

Compte tenu des problèmes quotidiens que vivent les patients de la Dre Tompkins (isolement, conditions climatiques extrêmes, chômage et pauvreté), la santé buccodentaire n'est pas nécessairement une priorité pour eux. La clinique dentaire, située à même un centre de santé local, est ouverte tous les jours quand la Dre Tompkins est sur place. Celle-ci y a d'ailleurs traité des cas tristes et inquiétants, comme celui d'un enfant de 3 ans qui avait toutes les dents cariées jusqu'aux gencives, et d'un homme qui avait lui-même commencé à se faire un traitement de canal à l'époque où la région ne disposait d'aucun service de soins dentaires. Le traitement de ces patients est un défi de taille, mais les résultats sont visibles et encourageants.

Communautés de pratique à l'étranger

Missions internationales de traitement des cas de fentes palatines

Dans des pays plus lointains, comme le Vietnam et la Tunisie, l'Université Dalhousie envoie des missions chargées de pratiquer des chirurgies correctrices chez des patients qui présentent une fente palatine et qui, autrement, ne recevraient jamais ces soins. Ces missions visent en partie à transmettre des connaissances aux chirurgiens locaux. Les résultats de la chirurgie peuvent avoir des répercussions considérables sur la fonction buccale, l'estime de soi et le développement du patient.

Ces missions ont été créées au milieu des années 1990 par le Dr David Precious, professeur au Département de chirurgie buccale et maxillofaciale, et doyen émérite de la Faculté de médecine dentaire. Chaque année, des professeurs du Département de chirurgie buccale et maxillofaciale participent bénévolement à une mission de 10 à 16 jours au cours de laquelle ils sont appelés à traiter jusqu'à 70 enfants, adolescents et adultes présentant une fente palatine et une malformation du palais.

Voyage d'études en Tanzanie

La Faculté de médecine dentaire organise chaque été un voyage d'études en Tanzanie. Il s'agit d'un programme non crédité, destiné aux étudiants en médecine, en médecine dentaire, en soins infirmiers et en pharmacie. C'est l'occasion pour les étudiants d'apprendre à travailler ensemble afin de fournir des soins complets aux patients. Les participants travaillent également à titre bénévole pendant une semaine avec une ONG de leur choix.

La Dre Murielle Arsenault, finissante du programme de résidence en dentisterie générale pédiatrique au Centre de soins de santé IWK, a participé au voyage d'études en 2008. Elle et ses collègues étudiants ont passé une semaine à l'Hôpital national de Muhimbili à Dar Es Salaam et une autre semaine dans un petit hôpital caritatif de la région rurale d'Ifakara. L'une des nouveaux diplômés ayant pris part au programme était étonnée du manque flagrant de ressources. Le voyage a renforcé son désir de travailler dans le Nord canadien pour venir en aide aux collectivités éloignées.

Conclusion

Beaucoup de personnes dans le monde entier ont un accès très limité – voire quasi inexistant – à des soins de santé buccodentaire. Même au Canada, un segment croissant de la population n'a pas les moyens de se payer des soins de base. Il incombe à tous les professionnels de la santé buccodentaire de remédier à la situation – que ce soit à petite ou à grande échelle. S'inspirant du leadership de son doyen, le Dr Boran, la Faculté de médecine dentaire a pris l'engagement d'améliorer l'accès aux soins dentaires dans le cadre de partenariats et d'alliances avec des dentistes et d'autres intervenants au sein des collectivités voisines et plus éloignées. Il revient aux membres de la profession d'informer les gouvernements et la population des répercussions importantes de la santé buccodentaire sur l'état de santé général. Les réussites que nous connaissons grâce au travail de ces communautés de pratique sont de bon augure pour l'avenir.

LES AUTEURES

 

La Dre Clovis est professeure agrégée à l'École d'hygiène dentaire de l'Université Dalhousie, à Halifax (Nouvelle-Écosse). Courriel : j.clovis@dal.ca.

 

La Dre Russell est professeure agrégée et chef de l'orthodontie à la Faculté de médecine dentaire de l'Université Dalhousie, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

 

Mme Gee est journaliste pigiste et spécialiste en communications à Dartmouth (Nouvelle-Écosse).

Références

  1. Burt BA. Dentistry, dental practice, and the community. 6th ed. Philadelphia: WB Saunders; 2005.
  2. Edelstein BL. Forward. Dental access: a multifaceted problem. Dent Clin North Am. 2009;53(3):xi–xiii.
  3. Leake JL. Access and care: reports from Canadian dental education and care agencies. J Can Dent Assoc. 2005;71(7):469-71.
  4. Dean A. The ability and the will (President's column). J Can Dent Assoc. 2004;70(9):589.
  5. Main P, Leake J, Burman D. Oral health care in Canada--a view from the trenches. J Can Dent Assoc. 2006;72(4):319. Available: www.cda-adc.ca/jcda/vol-72/issue-4/319.html.
  6. Wenger E. Communities of practice: learning, meaning and identity. Cambridge, UK: Cambridge University Press; 2003.
  7. O'Keefe J. Time for new models of care (editorial). J Can Dent Assoc. 2008;74(6):481.
  8. Li LC, Grimshaw JM, Nielsen C, Judd M, Coyte PC, Graham ID. Use of communities of practice in business and health care sectors: a systematic review. Implement Sci. 2009;4:27.