Prise en charge d’une aiguille brisée dans l’espace ptérygomandibulaire à la suite d’un bloc par la technique de Vazirani-Akinosi : Étude de cas

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SOMMAIRE

Bien que le bris d'aiguille soit une rare complication de l'administration d'anesthésiques locaux dans la cavité buccale, il peut en résulter un important degré de morbidité, ainsi que des actions en justice contre le dentiste. Le présent article décrit le cas d'une femme de 48 ans qui a été dirigée vers notre cabinet pour l'extraction d'une aiguille brisée à la suite d'une anesthésie tronculaire par la technique de Vazirani-Akinosi. La prise en charge a consisté à retirer l'aiguille durant une chirurgie pratiquée sous guidage radioscopique avec 2 points de référence.


Introduction

Le bris d'aiguille est un problème pratiquement inexistant en dentisterie moderne, et cette rare complication n'est traitée que brièvement dans les écoles de médecine dentaire. De fait, les bris d'aiguille ont considérablement diminué depuis l'introduction des aiguilles jetables à usage unique durant les années 1960, ainsi qu'avec l'amélioration des techniques de fabrication et des matériaux1,2. Ce problème n'a toutefois pas été éliminé et il est important d'en discuter.

Le retrait de corps étrangers dans la région maxillofaciale entraîne souvent une importante morbidité. De plus, en raison des améliorations qui ont été apportées aux matériaux, les bris qui surviennent sont plus souvent attribuables à des erreurs de la part des praticiens1-3, lesquels s'exposent ainsi à des poursuites en justice. Il est essentiel de comprendre pourquoi et comment une aiguille peut se briser durant l'administration d'un anesthésique local pour prévenir de tels incidents et assurer une défense juridique, le cas échéant.

Étude de cas

Une femme de 48 ans a consulté son dentiste généraliste pour l'obturation de la deuxième molaire inférieure droite. Après l'échec du bloc du nerf alvéolaire inférieur, le dentiste a tenté une anesthésie tronculaire par la technique de Vazirani-Akinosi avec une aiguille de calibre 26. L'anesthésie a réussi et le dentiste a pu terminer sa restauration. Cependant, à la fin de la procédure, le dentiste a constaté que l'aiguille s'était séparée de l'embout; il a donc dirigé immédiatement la patiente vers un cabinet de chirurgie buccale.

En cabinet, 2 aiguilles à gros calibre ont été utilisées comme points de référence pour le panorex (ill. 1). L'aiguille brisée a été localisée dans l'espace ptérygomandibulaire droit et on a tenté de l'extraire sous anesthésie locale. Après avoir essayé pendant 2 heures sans succès, il a été déterminé qu'il serait préférable d'extraire l'aiguille en salle d'opération. Huit jours plus tard, la patiente a été traitée dans la salle d'opération d'un hôpital local après avoir subi une tomodensitométrie (ill.2).

Après l'administration de l'anesthésique général, le bord latéral de la branche montante a été exposé. Le bord antérieur de la branche montante du maxillaire inférieur a ensuite été exposé avec le bord interne, à l'aide d'un rétracteur. Sous guidage radioscopique avec 2 aiguilles de calibre 18 servant de repères, le muscle ptérygoïdien interne droit a été disséqué. L'aiguille brisée a été localisée et retirée.

Durant les 8 jours entre l'incident et la chirurgie, la patiente s'est plainte de douleur à l'intérieur et autour de l'oreille droite. Après la chirurgie, elle a signalé une paresthésie du nerf mandibulaire (V3), incluant l'engourdissement de la langue, des lèvres et du menton du côté droit. Immédiatement après la chirurgie, la patiente a aussi manifesté un trismus avec une ouverture maximale de 25 mm. Nous ne pouvons formuler de conclusions sur la morbidité à long terme, car la patiente n'a pas été suivie dans notre clinique.

Ill. 1 : Panorex avec 2 aiguilles de localisation montrant l'aiguille brisée (flèche rouge).


Ill.  2 : Tomodensitométrie (coupe axiale) montrant une partie de l'aiguille dans l'espace ptérygomandibulaire droit (flèche jaune).



Discussion

Le bris d'aiguille pose problème depuis les débuts de l'anesthésie locale. Cependant, la longue histoire des complications dues au bris d'aiguille n'a pas permis de clore le débat sur la prise en charge de ces incidents. Tous les praticiens conviennent que, si un bris survient, le patient doit en être informé immédiatement et l'incident doit être documenté en détail. Le patient doit également être rassuré et être dirigé immédiatement vers un spécialiste en chirurgie buccale et maxillofaciale pour recevoir un traitement approprié. Le marquage du point d'entrée de l'aiguille avec un marqueur permanent aidera le chirurgien buccal à déterminer l'orientation.

Cependant, alors qu'un grand nombre de chirurgiens1,4,5 recommandent de retirer l'aiguille le plus tôt possible pour prévenir les complications dues à la migration de l'aiguille dans des structures vitales de la tête et du cou, d'autres sont plutôt d'avis que le bris d'aiguille devrait être traité d'une manière semblable à celle utilisée pour traiter les petits apex radiculaires non infectés dans le sinus: des tissus cicatriciels se formeront autour du corps étranger et la fibrose empêchera les complications. Les dentistes qui préconisent ce dernier traitement doivent toutefois suivre les patients de près afin de déceler rapidement toute complication1,7,8. Contrairement  au sinus, les espaces faciaux sont mobiles et non-fermés, ce qui peut empêcher la cicatrisation des tissus et la stabilisation des corps étrangers. La migration de l'aiguille et les complications en résultant sont donc beaucoup plus probables ici5 et il est recommandé d'extraire l'aiguille par voie chirurgicale.

S'il est impossible d'extraire l'aiguille par voie chirurgicale en utilisant les techniques d'imagerie décrites ci-après, le dentiste et le patient doivent décider si ce dernier devrait être dirigé vers un autre chirurgien afin d'obtenir une seconde opinion et considérer une nouvelle approche, ou si le patient devrait être suivi de près pour déceler toute migration de l'aiguille. S'il devait y avoir migration, le patient devrait alors être ramené en salle d'opération.

De nombreuses techniques ont été utilisées pour localiser des corps étrangers au niveau de la tête et du cou. Les électroaimants7-9 ne peuvent plus être utilisés pour localiser les aiguilles dentaires, car le fer a été éliminé de l'alliage d'acier inoxydable utilisé pour fabriquer ces aiguilles afin d'en améliorer les propriétés mécaniques9. Bien que 2 clichés sans préparation – radiographie panoramique ou céphalométrique latérale combinée à une radiographie antéropostérieure10 avec 2 ou 3 aiguilles de localisation – offrent un excellent point de départ, ces examens n'offrent pas la précision de la tomodensitométrie. L'imagerie stéréotaxique avec 2 aiguilles de localisation a été proposée comme solution de rechange pour aider à localiser des morceaux d'aiguilles. L'imagerie ultrasonique peropératoire a aussi été proposée pour localiser des corps étrangers dans le cou, mais son utilisation pourrait malheureusement être limitée dans la petite cavité buccale11.

Les praticiens peuvent réduire l'incidence du bris d'aiguille en restant vigilants et en étant conscients de tous les facteurs qui peuvent augmenter ce risque. Ainsi, il ne faudrait jamais tenter de faire une injection sans l'entière collaboration du patient, car des mouvements brusques ont été mis en cause dans des bris d'aiguilles1,11. De plus, les aiguilles ne devraient pas servir à des injections multiples, car elles deviennent émoussées à l'usage, de sorte que chaque injection subséquente deviendra de plus en plus douloureuse et exigera l'application d'une pression accrue pour percer les tissus. Or une pression plus forte augmente les risques de bris1,2.

Certains praticiens allèguent que les aiguilles de plus petit calibre sont plus sujettes au bris. Plusieurs auteurs recommandent d'utiliser une aiguille au moins de calibre 27 pour toutes les anesthésies tronculaires2,7,12, car la plupart des bris surviennent avec des aiguilles de calibre 30 ou d'un calibre plus petit1,6. Il convient également de souligner que la plupart des patients ne ressentent pas de grande différence entre une aiguille de calibre 27 et une de calibre 3013,14. De fait, la pression d'injection est souvent plus douloureuse avec une aiguille de calibre 30, ce qui annule tout avantage résultant du perçage des tissus avec une aiguille plus petite14,15.

Le point le plus faible de l'aiguille est la jonction entre l'aiguille et le pavillon10,16. Il faut donc utiliser des aiguilles d'une longueur adéquate pour éviter d'avoir à l'enfoncer jusqu'au pavillon2. Bien que la plupart des écoles de médecine dentaire mettent les étudiants en garde contre la pratique consistant à courber l'aiguille pour faciliter l'accès, de nombreux cliniciens enseignent et utilisent cette technique. La courbure crée une autre faiblesse dans l'aiguille; il ne faudrait donc jamais enfoncer une aiguille dans les tissus au-delà d'une courbure ou jusqu'au pavillon. Si l'on respecte cette règle, il devrait être facile de retirer l'aiguille s'il devait y avoir bris, car une partie de l'aiguille sortira des tissus.

Conclusion

Le bris d'aiguille est une complication rare mais grave des traitements dentaires, et il faut tout faire pour l'éviter. Si un bris survient, le praticien doit noter comment l'incident s'est produit, prendre les radiographies appropriées, documenter le cas et diriger immédiatement le patient vers un chirurgien buccal pour recevoir un traitement.



L'AUTEUR

Le Dr Rifkind est résident en chirurgie buccale et maxillofaciale, King's County Hospital, Brooklyn, New York.

Écrire au: Dr Jacob Rifkind, 451 Clarkson Avenue, E-Building, Dental & Oral Maxillofacial Surgery, Brooklyn, New York, 11203. Courriel: jacob.rifkind@gmail.com

L'auteur n'a aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a fait l'objet d'une révision par des pairs.



Références

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  10. Marks RB, Carlton DM, McDonald S. Management of a broken needle n the pterygomandibular space: report of a case. J Am Dent Assoc. 1984;109(2):263-4.
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  16. Ng SY, Songra AK, Bradley PF. A new approach using intraoperative ultrasound imaging for the localization and removal of multiple foreign bodies in the neck. Int J Oral Maxillofac Surg. 2003;32(4):433-6.

Cet article a été révisé pour tenir compte du changement suivant dans la deuxième phrase de l'Étude de cas :

Correction : le 16 juin 2011

Après l'échec du bloc du nerf alvéolaire inférieur, le dentiste a tenté une anesthésie tronculaire par la technique de Vazirani-Akinosi avec une aiguille de calibre 27.