Objet : Échec d’un traitement de canal diagnostiqué par erreur comme une douleur neuropathique

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Je souhaite formuler des observations au sujet de cet article et des failles sérieuses qu’il rapporte à mon avis.

  1. J’ai peine à croire que deux endodontistes n’ont pas remarqué une racine MB2. La plupart des cabinets spécialisés en endodontie traitent ou traitent de nouveau un très fort pourcentage de molaires (80 % ou plus). La première chose que chercherait un endodontiste est un MB2 qui aurait échappé à l’attention dans une première molaire maxillaire symptomatique2. Trois canaux traités? Cela aurait dû mettre la puce à l’oreille de quelqu’un. C’est l’une des premières leçons qu’on apprend au programme d’études spécialisées en endodontie.

  2. Est-ce que l’un des cliniciens a pris plus d’une radiographie préopératoire classique (plan bissecteur)? Dans la négative, pourquoi? Sans de telles images, l’examen endodontique est incomplet. N’importe quel étudiant en troisième année de médecine dentaire comprend ce concept en principe. Grâce à cette méthode rudimentaire, il aurait sans doute été possible de prévoir le MB2 qui n’a pas été décelé.

  3. Le « test de l’odeur » ne se fonde pas sur des bases scientifiques. L’odeur peut provenir de plusieurs tissus différents qui n’ont peut-être rien à voir avec les tissus périradiculaires. La culture du nez est sans valeur scientifique.

  4. Pourquoi avoir prescrit un antibiotique à la patiente après le nouveau traitement? Aucune étude ne montre la valeur d’administrer un antibiotique chez un patient « au cas où », surtout s’il n’y a pas de tuméfaction intrabuccale. Si la patiente avait eu une réaction allergique ou indésirable à ce médicament, le clinicien prescripteur n’aurait eu aucun fondement juridique défendable.

Des traitements endodontiques modernes peuvent facilement venir à bout d’un tel cas. Une simple tomographie volumique à faisceau conique (TVFC) aurait facilement montré de manière prévisible et fiable la présence d’un canal MB2. Dans la plupart des cas, elle aurait aussi montré s’il s’agissait d’un MB2 distinct ou joint à l’apex. Les techniques endodontiques contemporaines exigent de bien comprendre la nature du canal radiculaire et d’explorer toutes les possibilités morphologiques. Tout clinicien qui voit à partir d’une radiographie une première molaire maxillaire sans MB2 traité doit considérer qu’elle a été « manquée » et qu’elle est peut-être la source des symptômes du patient. Si l’anatomie du canal n’est pas claire, il vaut mieux obtenir de meilleures images. De telles images sont maintenant abordables et faciles à obtenir auprès de la plupart des cabinets d’endodontie.

Dr Robert Kaufmann
Winnipeg (Manitoba)

Références

  1. Shackleton, T. Échec d’un traitement de canal diagnostiqué par erreur comme une douleur neuropathique : etude de cas. J Can Dent Assoc. 2013;79:d94.
  2. Stropko JJ. Canal morphology of maxillary molars: clinical observations of canal configurations. J Endod. 1999 Jun;25(6):446-50.


Réponse de l’auteur

Dans ses observations au sujet de mon article, le Dr Kaufmann soulève plusieurs bons points, auxquels je souhaite répondre ci-dessous :

  1. Il trouve difficile de croire que deux endodontistes n’ont pas remarqué un MB2. Moi aussi, j’ai trouvé étrange que deux endodontistes n’aient pas voulu traiter la dent de la patiente, et je conviens que trois canaux traités auraient dû éveiller des soupçons. C’est néanmoins ce que la patiente m’a rapporté. Je n’ai pas remis en doute sa parole puisqu’elle éprouvait de l’inconfort et de la douleur depuis environ cinq ans et qu’elle était venue me consulter pour obtenir de l’aide et non pas pour subir un contre-interrogatoire.

  2. Le Dr Kaufmann demande également si d’autres radiographies préopératoires classiques ont été prises. Je ne sais pas ce que les autres cliniciens ont fait. Je peux seulement rapporter ce que moi j’ai fait, c’est-à-dire de prendre plusieurs films radiographiques, dont l’un était de qualité diagnostique et a été repris dans l’article. J’ignore quels autres films ou images les autres cliniciens ont pu faire. Par contre, je sais que la patiente éprouvait de la douleur et qu’il a été très difficile de procéder à l’examen radiographique. Après cet examen et une discussion avec la patiente, nous avons convenu de faire un nouveau traitement non chirurgical, ce qui limite la pertinence d’obtenir d’autres films. J’ai proposé de la diriger vers un spécialiste en radiologie buccale et maxillofaciale pour une TVFC, mais deux facteurs s’y opposaient : 1) la patiente n’en avait pas les moyens; 2) la TVFC et la visualisation directe avec un microscope opératoire donnent les mêmes résultats1.

  3. Le Dr Kaufmann affirme que l’utilisation du « test de l’odeur » ne se fonde pas sur des bases scientifiques. Or, il ne s’agissait que d’une observation qui venait étayer d’autres signes plus importants d’infection, y compris un canal MB2 visible qui avait échappé à l’attention, des canaux traités antérieurement qui étaient contaminés et cinq années de douleur. En plus de tous ces signes, j’ai aussi relevé une odeur quand j’ai ouvert le canal MB2.

  4. Le Dr Kaufmann conteste le fait que j’aie prescrit de la clindamycine à la patiente après le traitement. Il est en fait nécessaire de prescrire une dose judicieuse d’antibiotique pour combattre l’évolution de souches résistantes et éviter les réactions indésirables. Ceci dit, il faut aussi tenir compte des soins personnalisés à offrir. Lors du rendez-vous de consultation, la patiente a demandé une ordonnance d’antibiotique, ce que j’ai refusé de fournir parce que rien n’en montrait la nécessité à ce moment-là. Je lui ai plutôt expliqué que, dans son cas, il valait mieux accéder à la dent, chercher un canal non traité, une fissure ou une fracture puis décider des suites à donner. Au rendez-vous de traitement, la patiente était de plus en plus désemparée et a dit être incommodée, irritable et fatiguée depuis plusieurs jours, suivant son rendez-vous de consultation. Compte tenu de ces facteurs – et du canal non traité, des canaux traités contaminés et des antécédents de douleur –, j’ai décidé de prescrire de la clindamycine après avoir passé en revue son anamnèse et bien lui avoir expliqué les risques et les avantages de prendre un antibiotique. Même si ses symptômes étaient peut-être causés par d’autres facteurs qu’une infection, j’ai jugé que la prescription d’un antibiotique constituait la façon de procéder la plus sûre et la plus prudente vu la situation.

Je m’abstiendrai d’émettre toute remarque sur les implications juridiques d’une situation hypothétique où un patient aurait eu une réaction indésirable à un antibiotique (ce qui ne s’est pas produit). Je me permettrai toutefois de préciser qu’il y a des conséquences juridiques dans une autre situation hypothétique, celle où un patient a une bactériémie grave ou se retrouve en crise parce qu’un clinicien aurait pu prescrire un antibiotique, mais ne l’a pas fait3.

Dr Thomas Shackleton

Références

  1. Abuabara A, Baratto-Filho F, Aguiar Anele J, Leonardi DP, Sousa-Neto MD. Efficacy of clinical and radiological methods to identify second mesiobuccal canals in maxillary first molars. Acta Odontol Scand. 2013 Jan;71(1):205-9. doi 10.3109/00016357.2011.654262. Epub 2012 Feb 9.
  2. Yamada Y, Takahashi Y, Konishi K, Katsuumi I. Association of odor from infected root canal analyzed by an electronic nose with isolated bacteria. J Endod. 2007 Sep;33(9):1106-9.
  3. Longman LP, Preston AJ, Martin MV, Wilson NH. Endodontics in the adult patient: the role of antibiotics. J Dent. 2000 Nov;28(8):539-48.