L'alendronate monosodique (Fosamax, Merck Frosst Canada Ltée., Kirkland, Québec) est un bisphosphonate azoté qui inhibe la résorption osseuse et qui est couramment utilisé comme médicament de première ligne pour la prévention et le traitement de l'ostéoporose postménopausique. Cet agent inhibe la résorption osseuse en entravant le recrutement, la différenciation et l'action des ostéoclastes, ce qui en retour prévient les fractures vertébrales et non vertébrales1. Au Canada, l'alendronate est offert sur ordonnance pour le traitement de l'ostéoporose postménopausique (dose quotidienne de 10 mg ou dose hebdomadaire de 70 mg) et de la maladie osseuse de Paget (40 mg, une fois par jour pendant 6 mois). Il est essentiel de respecter les instructions posologiques de ce médicament pour prévenir l'œsophagite chimique, car des effets indésirables se manifestant sous forme de troubles des voies digestives supérieures, comme l'œsophagite et la gastrite, ont souvent été signalés2-4. Le fabricant donne des instructions posologiques précises pour réduire l'irritation de l'œsophage. Ces instructions prévoient notamment qu'il faut éviter le contact prolongé entre l'alendronate et les muqueuses buccale et œsophagienne.
Les deux études de cas qui suivent font état de complications de la muqueuse buccale qui s'apparentent à l'œsophagite et à la gastrite. Ces symptômes peuvent être difficiles à diagnostiquer correctement. Des comorbidités avaient empêché ces deux patients de suivre les instructions posologiques du fabricant, et ceci a donné lieu à un contact prolongé entre la muqueuse buccale et l'alendronate. Heureusement, dans les deux cas, il y a eu résolution de la mucosite buccale persistante étendue après que la cause de la réaction indésirable au médicament a été identifiée et que des mesures correctives ont été prises.
Études de cas
Une consultation en médecine et pathologie buccales a été demandée pour un homme de 48 ans qui vivait dans une résidence pour personnes semi-autonomes et qui présentait une ulcération et une douleur buccales généralisées et persistantes, réfractaires aux stéroïdes topiques. Le patient était atteint d'infirmité motrice cérébrale, d'ostéoporose, d'hernie hiatale et de schizophrénie et il était aveugle au sens de la loi. Il n'avait aucune allergie médicamenteuse connue. Durant l'examen, le patient était dans un fauteuil roulant; il présentait des problèmes physiques et des difficultés sur le plan de l'expression verbale et du comportement. Le patient s'est plaint d'une douleur du côté droit de la cavité buccale. L'examen a révélé la présence d'une ulcération profonde bien définie recouverte d'une pseudomembrane, qui touchait la muqueuse buccale droite, la commissure intérieure droite, la muqueuse inférieure droite de la lèvre et la portion ventrolatérale droite de la langue (ill. 1). La zone pseudomembraneuse avait une texture caoutchouteuse à ferme, sans saignement spontané. La palpation de la zone atteinte a provoqué une douleur atroce. Les dents naturelles et les matériaux de restauration du côté droit présentaient une usure importante. Un examen plus poussé de la pharmacothérapie du patient a révélé que ce dernier prenait de l'alendronate (comprimé de 70 mg, une fois par semaine, par voie orale) et un comprimé de Didrocal par jour (400 mg d'étidronate avec 500 mg de calcium) pour le traitement de l'ostéoporose. Le patient a indiqué qu'il n'était jamais capable d'avaler les comprimés, à cause d'une incoordination musculaire due à son infirmité motrice cérébrale. Alors il croquait les comprimés avec ses dents du côté droit. De plus, le patient n'avait jamais été informé qu'il devait boire un verre d'eau après la prise de l'alendronate. Sur la base de l'histoire clinique et des résultats de l'examen, il a été cliniquement déterminé que l'ulcération buccale était due au contact direct avec l'alendronate (c.-à-d. contact direct avec la substance chimique). À la résidence, le médicament n'était disponible sous aucune autre forme posologique ou voie d'administration pour éviter le contact direct entre l'alendronate et la muqueuse buccale. Après discussion avec le médecin prescripteur, il a donc été décidé de cesser l'administration de l'alendronate. Six semaines plus tard, un examen de suivi a révélé une muqueuse rose et saine aux sièges auparavant ulcérés, sans aucune cicatrisation (ill. 2).
Une consultation a été demandée pour une femme de 65 ans qui vivait dans un établissement de soins de longue durée et qui présentait une gingivite importante et persistante. La patiente était hémiplégique à la suite d'un événement cardiovasculaire subi quelques années auparavant et était aussi atteinte d'ostéoporose. Elle n'avait pas d'allergies médicamenteuses connues. Durant la visite d'évaluation, la patiente était accompagnée de deux employés de soutien pour lui apporter une assistance comportementale et l'aider à communiquer. Seul un examen limité a été fait, car la patiente avait de la difficulté à ouvrir la bouche. Une ulcération bien définie a été observée dans le vestibule bucco-gingival antérieur inférieur (ill. 3), avec production de bave et production excessive de salive. La patiente prenait de l'alendronate une fois par semaine. Les questions précises concernant la prise de ce médicament ont été posées au personnel de l'établissement de soins de longue durée, par téléphone. Cet entretien a révélé que, puisque la patiente était incapable d'ouvrir la bouche, le personnel infirmier broyait le comprimé d'alendronate et utilisait une cuillère pour introduire le médicament en poudre dans le vestibule de la bouche (où s'est développé l'ulcère). Le personnel infirmier a été incapable d'indiquer de façon précise si la patiente finissait par avaler la poudre ou si celle-ci restait dans le vestibule. Un diagnostic de mucosite buccale due à l'administration inadéquate de l'alendronate a été posé. Il a été recommandé au médecin prescripteur de modifier l'ordonnance, afin que l'alendronate soit administré sous forme de solution (70 mg dans 75 mL) plutôt que de comprimé. Malheureusement, la patiente n'a pu tolérer la solution, l'administration de chaque dose causant l'apparition d'un érythème et d'un œdème péribuccaux et cervicaux persistants. Le traitement à l'alendronate a donc été cessé. Des examens de suivi réalisés à 6 semaines (ill. 4) et à 5 mois (ill. 5) ont montré une résolution lente, mais soutenue, de l'ulcération buccale.
Discussion
Afin de réduire le risque d'effets indésirables sur les muqueuses œsophagienne et buccale associés à la prise d'alendronate, il est important de suivre un protocole d'administration rigoureux. Les directives qui suivent décrivent la bonne méthode pour administrer l'alendronate par voie orale5 :
- Avaler le comprimé avec un grand verre d'eau.
- Éviter de s'allonger durant au moins 30 minutes après la prise de la dose et jusqu'à la consommation du premier repas de la journée.
- Ne pas croquer ni sucer les comprimés.
Un examen de la Base de données en ligne des effets indésirables de Canada Vigilance a mis en lumière quelque 375 cas de réactions gastro-intestinales indésirables pouvant être associées à l'alendronate, qui ont été déclarés entre 2000 et 20096. De ce nombre, 25 cas environ faisaient mention de signes et de symptômes dans la cavité buccale tels que tuméfaction de la langue, altération des sensations buccales et infection de la mâchoire. Un seul cas mentionnait une «stomatite».
Seuls quelques cas de stomatite ou de mucosite buccale associée aux bisphosphonates ont été recensés dans la litérature7-10. Ces cas présentent des caractéristiques cliniques similaires et leur chronologie rappelle celle des cas décrits dans le présent article. La mucosite buccale s'est manifestée sous forme d'érosion ou d'ulcérations étendues, accompagnées d'un épaississement de la muqueuse adjacente, sans saignement apparent. Le siège des ulcérations correspondait à l'endroit où il y avait eu exposition prolongée au médicament (c.-à-d. l'endroit où les comprimés d'alendronate séjournaient dans la bouche avant d'être avalés). Les ulcérations étaient le résultat de l'effet direct du médicament sur la muqueuse buccale. Bien que le mécanisme d'action précis n'ait pu être déterminé, la cytotoxicité directe du médicament et l'acidité de la formulation ont été proposés comme mécanismes possibles7-10. Dans tous les cas déclarés, les symptômes et les signes cliniques se sont lentement résorbés après le retrait de l'alendronate.
Les médecins et les fournisseurs de soins buccodentaires devraient savoir que l'observation rigoureuse des instructions posologiques de l'alendronate réduira le risque de mucosite buccale. Le passage à d'autres formes posologiques (p. ex., solution plutôt que comprimé) serait une option pour les patients dysphagiques. Cependant, si les effets indésirables persistent, il pourrait être indiqué de revoir les risques et les avantages du bisphosphonate pour le patient11-13, en particulier si le patient vit en établissement. À titre d'exemple, si le patient qui a de la difficulté à avaler les comprimés est alité ou est confiné à un fauteuil roulant, le risque de chute pouvant causer une fracture de la hanche ou des vertèbres pourrait être relativement faible si le patient vit en établissement de soins supervisés. Et bien que d'autres options thérapeutiques puissent être envisagées, l'arrêt du médicament s'avère une option plus pratique pour inverser la mucosite érosive buccale associée à l'alendronate, comme celle décrite ici.
Conclusions
Il est important d'informer les patients qui prennent de l'alendronate par voie orale qu'ils doivent avaler le comprimé sans le croquer, avec un grand verre d'eau. Les cliniciens doivent quant à eux connaître les risques d'effets toxiques buccaux, si les instructions posologiques ne sont pas respectées. Si le fournisseur de soins buccodentaires soupçonne des effets indésirables dus à la prise du médicament, il devrait communiquer rapidement avec le médecin prescripteur pour discuter de moyens d'améliorer l'observance de la pharmacothérapie.
LES AUTEURS
Références
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