Un défi diagnostique mettant en cause une tuméfaction gingivale macroscopique

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Une femme de 35 ans s’est présentée à notre hôpital, car ses gencives étaient tuméfiées depuis 2 mois et saignaient lorsqu’elle se brossait les dents. Depuis une semaine, la patiente se sentait faible et fatiguée; ses antécédents médicaux n’indiquaient rien de pertinent et la patiente ne prenait aucun médicament pour le traitement de maladies chroniques. L’examen physique a révélé des signes d’anémie.

Une tuméfaction macroscopique des gencives a été observée à l’examen buccal (ill. 1). Une tuméfaction diffuse généralisée des gencives était également apparente sur les faces buccale et linguale de toutes les dents (ill. 2), l’œdème étant plus marqué dans la région antérieure que postérieure des maxillaires. Les gencives rose pâle étaient lobulées et avaient perdu leur texture de peau d’orange (ill. 3). À la palpation, la tuméfaction était ferme et le sondage parodontal a provoqué des saignements. Un examen plus poussé de la cavité buccale a révélé des saignements sur 2 taches de la grosseur d’une pointe d’épingle sur la muqueuse buccale, au niveau occlusal. Le contrôle de la plaque était déficient.

Ill. 1 : Tuméfaction gingivale diffuse généralisée.

Ill. 2 : Tuméfaction buccale et linguale de la gencive mandibulaire.


Ill. 3 : Gencive rose pâle d’aspect bulbeux dans la région postérieure.

Quel est le diagnostic?

Diagnostic différentiel 

La tuméfaction gingivale peut être due à une mauvaise hygiène buccodentaire, à la prise de médicaments, à de graves maladies systémiques, à des troubles hématologiques ou à des conditions génétiques, ou elle peut être idiopathique.

Inflammatoire : La tuméfaction inflammatoire se caractérise par un gonflement ou de l’œdème, une rougeur et une tendance aux saignements au sondage parodontal. La tuméfaction inflammatoire de longue durée peut avoir une composante fibreuse. La plaque est le principal facteur local associé à ce type de tuméfaction.

Médicamenteuse : Dans le cas de tuméfactions fibreuses d’origine médicamenteuse, les gencives sont roses, fermes et lobulées. Cet état se manifeste souvent sous forme d’œdème irrégulier généralisé de la gencive attachée et de la gencive marginale sur les faces linguale et buccale. Divers types de médicaments (immunosuppresseurs, anticonvulsivants et inhibiteurs calciques) peuvent en être la cause. Un diagnostic de tuméfaction gingivale d’origine médicamenteuse peut être posé si l’œdème coïncide avec l’administration d’un de ces médicaments.

Héréditaire : La fibromatose gingivale héréditaire est une rare tuméfaction gingivale fibreuse d’étiologie inconnue. Cet état est également désigné par les noms de gingivomatose, éléphantiasis, fibromatose idiopathique, hyperplasie gingivale héréditaire et fibromatose familiale congénitale. Des antécédents familiaux de tuméfaction gingivale se manifestant habituellement au moment de l’éruption des dents primaires ou permanentes sont évocateurs d’un tel diagnostic.

Conditionnée : Les changements hormonaux qui surviennent à la puberté et durant la grossesse causent une hyperplasie gingivale généralisée, car l’altération du métabolisme tissulaire accentue la réponse aux irritants locaux. Durant la grossesse, l’augmentation des taux de progestérone et d’œstrogène provoque des changements dans la perméabilité vasculaire qui causent de l’œdème gingival et une sensibilité inflammatoire accrue à la plaque dentaire.

L’œdème est habituellement généralisé et a tendance à être plus marqué dans la zone interproximale que sur les faces linguale et buccale. Les gencives tuméfiées, de couleur rouge vif ou magenta, sont molles et friables et leur surface est lisse et brillante. Le saignement est spontané ou survient en réponse à une provocation légère. Bien qu’il y ait habituellement réduction spontanée de l’œdème après la grossesse, la suppression complète de l’inflammation résiduelle nécessite l’élimination de tous les dépôts de plaque et des facteurs qui en favorisent l’accumulation.

Lorsque la tuméfaction est due à une carence en vitamine C, les gencives rouge violacé sont molles et friables et leur surface est lisse et brillante. Cet état se caractérise souvent par des saignements spontanés ou consécutifs à une provocation légère et par une nécrose superficielle avec formation pseudomembraneuse.

Affections systémiques : L’infiltration gingivale associée à la leucémie provoque une tuméfaction généralisée des gencives qui, sur le plan clinique, imite la tuméfaction d’origine inflammatoire. Les manifestations buccales habituellement associées à la leucémie aiguë incluent l’hyperplasie gingivale, les aphtes buccaux, le saignement gingival spontané, les pétéchies, la pâleur mucosale, les infections herpétiques et la candidose. La leucémie myéloïde aiguë (LMA) est l’état le plus grave associé à une tuméfaction gingivale. Chez les patients atteints de cette forme de leucémie, la tuméfaction gingivale peut s’accompagner des signes et symptômes de l’insuffisance médullaire (p. ex., ecchymoses, sueurs nocturnes, infections récentes et léthargie). En pareilles circonstances, une numération formule sanguine est un test simple et utile qui peut mener à un diagnostic rapide. Dans le cadre d’une vaste recension de la littérature, Dreizen et ses collègues ont observé la présence de LMA chez 3 % à 5 % des patients recevant une chimiothérapie contre la leucémie (= 1076).

Rarement, des affections systémiques comme la maladie de Crohn, la granulomatose de Wegener et la sarcoïdose s’accompagnent d’œdème gingival. Les gencives sont alors roses et fermes; elles ont une consistance qui rappelle celle du cuir et une surface très légèrement granuleuse caractéristique. Chez ces patients, il est important de rechercher activement les signes et symptômes de ces maladies.

La tuméfaction gingivale fibreuse qui ne semble pas d’origine médicamenteuse ou héréditaire peut être d’origine néoplasique ou être le signe d’une inflammation secondaire. Bien que plusieurs étiologies puissent causer une tuméfaction des gencives, chaque type de tuméfaction se caractérise habituellement par des manifestations spécifiques. L’inflammation induite par la présence de plaque et d’irritants locaux peut toutefois masquer des manifestations caractéristiques. S’il est impossible d’établir un diagnostic définitif à partir des antécédents du patient et de l’examen clinique, un prélèvement biopsique et des examens hématologiques peuvent s’avérer nécessaires.

Diagnostic du patient

Le cas présent laissait croire à une tuméfaction gingivale fibreuse; la patiente paraissait en bonne santé et n’avait pas d’antécédents familiaux ou pharmaceutiques évocateurs d’une cause précise. La fibromatose gingivale idiopathique semblait donc le diagnostic le mieux approprié sur la base des résultats cliniques.

Les analyses hématologiques ont toutefois révélé un faible taux d’hémoglobine (7,2 g/dL), une faible numération plaquettaire (40 × 109/L), une élévation de la numération leucocytaire (18,3 × 109/L), une prolongation du temps de saignement (11 min) et une augmentation de la vitesse de sédimentation globulaire (140 mm/h). L’hémogramme périphérique indiquait principalement une quantité excessive de myéloblastes à gros noyau et un pourcentage de cellules blastiques de 71 % évocateur d’une LMA.

Ce cas présentait un intérêt clinique à cause de l’étendue de la prolifération tissulaire dans les 2 arcades. De plus, les lésions laissaient croire à une tuméfaction fibreuse, ce qui aurait pu causer une erreur de diagnostic.

Un diagnostic rapide de leucémie a permis d’instaurer une chimiothérapie spécifique pour lutter contre cette maladie qui menace le pronostic vital. La tuméfaction gingivale peut être le signe révélateur d’une LMA et les dentistes doivent être conscients de cette possibilité.

LES AUTEURES

La Dre Kamath est chargée de cours, Hôpital et collège dentaires Sri Hasanamba, Hassan, à Karnataka, en Inde.

La Dre Chikkaiah est professeure adjointe à l’Hôpital et collège dentaires Sri Hasanamba, Hassan, à Karnataka, en Inde.

Écrire à la : Dre Geetha Kamath, Hôpital et collège dentaires Sri Hasanamba, Vidyanagar, Hassan 573201, Karnataka, Inde. Courriel : gita.kamath@gmail.com

Les auteures n’ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Lectures additionnelles

  • Carranza FA, Hogan EL. Gingival enlargement. In: Newman MG, Takei H, Carranza FA. Carranza’s clinical periodontology. 10th ed. St Louis (MO): Saunders-Elsevier; 2006. p. 373-90.
  • Dreizen S, McCredie KB, Keating MJ, Luna MA. Malignant gingival and skin “infiltrates” in adult leukemia. Oral Surg Oral Med Oral Pathol. 1983;55(6):572-9.
  • Jinbu Y, Naito H, Noguxhi T, Akasaka Y, Ozawa K. Unusual tumor formation in the tongue of an acute myelocytic leukemia patient: report of a case. Oral Med Pathol. 2000;5(1):53-6.
  • Lundergan WP. Diagnosis of gingival enlargement. In: Hall WB. Critical decisions in periodontology. 4th ed. Hamilton (ON): BC Decker; 2003. p. 58-9.
  • Wu J, Fantasia JE, Kaplan R. Oral manifestations of acute myelomonocytic leukemia: a case report and review of the classification of leukemias. J Periodontol. 2002;73:664-8.