La prévention : l'héritage de la dentisterie pour l'avenir

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Dre Marielle Pariseau

En planifiant les retrouvailles, après 35 ans, des anciens de ma classe, mes pensées se sont tournées vers l'époque où, pleine d'espoirs, d'ambitions et d'inquiétudes, je faisais mes études dentaires. Dans les années 1970, des chercheurs travaillaient sur un vaccin pour prévenir la carie, et je me demandais s'il y aurait assez de travail pour faire carrière toute une vie en dentisterie. Je me suis rassurée en me disant que je trouverais bien des façons de m'adapter et j'ai commencé à exercer en rêvant de faire une différence. Revenant maintenant sur le passé, je crois avoir fait une différence, mais de façon infime, et sans doute seulement dans la sphère de mon propre cabinet privé.

Les changements que je prévoyais voir au cours de ma carrière ne se sont tout simplement pas produits. La carie reste encore la maladie qui prévaut le plus – 5 fois plus que l'asthme – chez les enfants. À la fin de leur adolescence, plus des deux tiers de nos enfants montrent des signes de carie. Ces statistiques sont embarrassantes puisque la carie est une maladie qui peut être évitée. Pour rendre le tableau plus sombre, l'érosion est en train de devenir une menace encore plus grande que la carie. Au début de ma carrière, je voyais rarement une érosion. Aujourd'hui, je traite régulièrement ce problème.

Les statistiques sur l'obésité sont tout aussi déprimantes. Un tiers des enfants canadiens font de l'embonpoint ou sont obèses. Sur ce nombre, 70 % vont devenir des adultes obèses pouvant souffrir des conséquences de l'obésité, comme le diabète et l'hypertension. Ce n'est pas incongru d'associer obésité et érosion quand on sait que des chercheurs attribuent en grande partie l'obésité à la consommation de boisson gazeuse.

Pendant ma carrière, je me suis adaptée à toutes les nouvelles techniques et procédures dentaires. Mais en accordant la priorité à la nouvelle technologie, me suis-je laissée distraire de ces choses mêmes auxquelles j'aurais dû prêter mon attention? Je me faisais un point d'honneur de pratiquer la dentisterie de pointe tout en passant mes journées à réparer les conséquences d'une maladie pouvant être évitée. Certes, un dilemme d'ordre éthique.

Au cours des 3 dernières décennies, nous n'avons fait guère de progrès pour réduire l'incidence de la carie. Et nous ne semblons pas capables non plus de prévenir l'érosion. Pourquoi voyons-nous si peu de changements fondamentaux? Mon intuition me dit que si nous comparons les sommes investies dans les traitements à celles investies dans la prévention, ce sont probablement les méthodes de traitement qui ont reçu la plus grande part. Comme nous savons que les dents ont une capacité restreinte à guérir, ne devrions-nous pas cibler nos efforts sur la prévention et l'éducation?

La dentisterie est devenue une profession immensément attrayante en fusionnant l'art et la science. Aujourd'hui, nous pouvons transformer les gens en réparant leurs dents! Mais pour agir vraiment avec éthique, ne devrions-nous pas, au lieu d'aider les gens à conserver toujours leurs dents, nous appliquer à les aider à les conserver toujours exemptes de carie? Un petit changement sémantique qui a d'immenses répercussions. Changer pour devenir proactifs au lieu d'être réactifs. Changer pour faire davantage d'éducation, pour étendre la portée des connaissances buccodentaires à d'autres cercles d'influence.

Nous, les dentistes, avons les plus hauts niveaux d'alphabétisation en santé buccodentaire dans le monde. Ne nous sommes-nous pas efforcés d'offrir à nos patients les meilleurs soins possible? N'avons-nous pas été des pionniers parmi les professionnels de la santé quand il s'est agi d'inclure l'éducation dans nos pratiques quotidiennes? N'avons-nous pas, grâce à ces efforts, grandement haussé le profil de notre profession? Ce qu'il nous faut maintenant, c'est de passer d'une méthode consistant à résoudre des problèmes à l'une axée sur la possibilité – la possibilité de créer un avenir sans carie.

Trente-cinq années se sont écoulées depuis que j'ai obtenu mon diplôme, et ma profession n'est pas tout à fait parvenue là où je prévoyais qu'elle serait après toutes ces années. Éprouvez-vous, comme moi, un vague sentiment de discordance entre les attentes et la réalité? Peut-être est-ce un bon moment pour regarder la situation et décider quelle sorte d'impact les dentistes peuvent avoir sur la santé dans le monde. Le moment est venu pour nos dirigeants d'étudier de nouvelles possibilités si nous voulons constituer un héritage de prévention pour l'avenir.

Marielle Pariseau, DDS, est dentiste généraliste à Kanata (Ontario). Courriel : toothdoc@rogers.com