Améliorer la transparence en recherche dentaire par l’accès aux données brutes

Il est malheureux que la fraude et l'inconduite fassent partie du paysage de la recherche en science médicale. Au cours des dernières années, plusieurs cas ont fait surface, ce qui donne l'impression que ce type de comportement est à la hausse¹. Dans un cas extrême, le Dr Scott Reuben, qui était un éminent chercheur sur la prise en charge de la douleur, a faussé des données sur des produits anesthésiques et a publié ses résultats dans plus de 20 revues scientifiques². Bien des personnes ont risqué de subir des effets secondaires graves, y compris des complications cardiovasculaires accrues³. Qui plus est, les résultats frauduleux du Dr Reuben ont compromis toutes les études secondaires connexes, telles que des revues systématiques et des méta-analyses⁴. La prise de décision clinique fondée sur ces résultats d'études trompeuses pourrait aussi avoir des failles.

Pour ces raisons, il semble logique de déployer tous les efforts nécessaires pour réduire les possibilités que des données faussées ou non fiables soient publiées dans les ouvrages scientifiques. Il faut dire que la détection de ce type de fraude n'est pas une mince tâche. L'évaluation par les pairs peut examiner les méthodes de recherche de l'auteur, mais elle ne peut pas déterminer si la démarche comme telle a été suivie. Malgré cela, les manuscrits évalués par des pairs et publiés dans des revues scientifiques sont généralement admis comme des articles de haute qualité.

La publication des données originales (connues sous le nom de «données brutes») qui ont servi aux auteurs à préparer leur manuscrit pourrait constituer un moyen efficace de décourager ou de réduire l'inconduite scientifique. Ces données permettraient aux groupes de chercheurs et aux lecteurs intéressés de reproduire ou de vérifier les analyses présentées dans un article⁵. L'enregistrement du protocole de recherche dans un registre public d'essais cliniques constitue un autre moyen de contrôler les écarts entre ce qui est rapporté dans la méthode de l'essai et ce qui est publié dans l'article final.

Pour déterminer la fréquence de ces deux mesures dans les politiques éditoriales actuelles, j'ai examiné si les revues de médecine dentaire suggèrent ou requièrent la publication de données brutes et l'enregistrement du protocole d'étude clinique dans un domaine public. Les résultats de mon examen de telles politiques qui se trouvent en ligne pourront servir de tremplin à la discussion entre toutes les parties liées à la recherche clinique en médecine dentaire, y compris les rédacteurs en chef, les chercheurs, les patients et les lecteurs du JADC.

Les politiques éditoriales se suivent et ne se ressemblent pas

J'ai passé en revue les lignes directrices à l'intention des auteurs des 64 revues de médecine dentaire ayant un facteur d'impact en 2009 selon le Journal Citation Report publié par Thomson Scientific. Cet exercice visait à déterminer si les revues ont une politique suggérant ou exigeant la publication des données originales d'essais cliniques randomisés. J'ai aussi examiné si les revues suggèrent ou exigent l'enregistrement préalable du protocole des essais cliniques randomisés dans un registre des essais cliniques. À des fins de comparaison, j'ai aussi étudié la politique éditoriale des 10 revues de médecine générale ou interne les mieux classées ainsi que d'un échantillon aléatoire de 40 autres revues de médecine. J'ai choisi de retenir aussi ces revues médicales moins bien classées pour pouvoir faire des comparaisons sur un pied d'égalité entre des publications dans les deux disciplines qui ont un facteur d'impact similaire.

Les politiques éditoriales des 10 revues de médecine les mieux classées sont plus explicites que les revues de médecine dentaire ou les revues médicales moins bien classées. Aucune revue de médecine dentaire ne suggère ni n'exige la publication des données brutes avec le manuscrit (tableau 1). Toutefois, certaines revues de médecine dentaire permettent de soumettre du matériel supplémentaire, tel que des ensembles de données ou des figures ou tableaux complémentaires. Près du tiers des revues de médecine dentaire (29 %) exigent ou suggèrent l'enregistrement préalable du protocole d'essai auprès d'une entité publique.

Bien que certaines des revues médicales de premier rang suggèrent la publication des données brutes, la plupart n'en font pas une exigence (tableau 2). Cependant, la plupart des revues médicales de haut rang nécessitent l'enregistrement à l'avance du protocole d'essai auprès d'une entité publique. Aucune des revues médicales du classement inférieur ne suggère ni n'exige la publication des données brutes avec le manuscrit (tableau 3). À l'instar des revues de médecine dentaire, moins du tiers des revues médicales moins bien classées (24 %) exigent l'enregistrement préalable du protocole d'essai auprès d'une entité publique.

De l'importance de la transparence dans la publication de données

Les résultats de mon examen montrent que les politiques éditoriales des revues de médecine dentaire pourraient être améliorées. Puisque aucune politique ne suggère ni n'exige la publication des données originales, il est extrêmement difficile pour l'équipe de rédaction et d'évaluation de contrôler la fiabilité des données. Un article récent⁶ avance qu'il faudrait prendre des mesures pour réduire les risques d'inconduite scientifique en dentisterie. Bien que cet article recommande des mesures intéressantes pour améliorer la transparence du processus éditorial, telles qu'un logiciel pour repérer le plagiat et les images retouchées, il ne fait pas mention de la publication des données brutes ni de l'enregistrement des protocoles d'essais.

Il est peut être avantageux de partager les données brutes pour bien des raisons, notamment parce que cela permet à d'autres chercheurs de reproduire les études. La possibilité de reproduire des essais cliniques est la pierre angulaire des études expérimentales⁷ et le fait de pouvoir le faire dans les mêmes conditions devrait accroître la fiabilité des résultats. La publication des données brutes dévoile aussi des parties clés de la recherche, comme l'analyse statistique détaillée et les résultats complets de la recherche primaire^5,8,9. Ces éléments permettent aux chercheurs de mener une interprétation en profondeur des résultats. La publication du protocole de recherche pourrait réduire le nombre de cas de parution de résultats sélectifs (où les chercheurs sortent seulement une partie des résultats analysés) et de méta-analyses par conséquent biaisées¹⁰. En fait, des recherches ont montré que les résultats d'essais ne cadrent pas toujours avec les protocoles¹¹, ce qui justifierait que les revues adoptent une politique selon laquelle le protocole de recherche d'un essai clinique doit accompagner le manuscrit final.

Si d'autres revues adoptent les mêmes façons de faire que les revues de médecine bien classées, la transparence en recherche s'améliorera. Par exemple, pour les essais subventionnés par l'industrie, ces revues demandent que l'ensemble complet des données (protocole, données brutes et article) soit évalué par un statisticien indépendant qui en vérifie la fiabilité. Cette mesure est requise parce que les essais subventionnés par l'industrie sont plus susceptibles d'être associés à des résultats statistiquement favorables aux bailleurs de fonds^12,13. Les auteurs pourraient aussi devoir signaler, dans une lettre d'accompagnement, toute publication antérieure ou en double, ce qui aurait pour effet de réduire la possibilité que des données soient publiées en double et d'optimiser la démarche de recherche secondaire pour les examens systématiques et les méta-analyses.

Le présent article suggère des changements à apporter aux politiques éditoriales en vue d'améliorer la transparence des données qui paraissent dans les publications en médecine dentaire. Le fait que les auteurs publient le protocole d'études auprès d'une entité publique contribuerait à améliorer la démarche éditoriale. Mais le secteur de la dentisterie doit se demander s'il n'est pas temps de faire un pas de plus et de demander aux auteurs de partager leurs données brutes tirées d'essais cliniques. J'espère que cet article lancera une discussion constructive sur le sujet.

L'AUTEUR

Le Dr Faggion est associé de recherche au Département de prosthodontie, École de médecine dentaire de l'Université de Heidelberg, Heidelberg, Allemagne.

Remerciements : L'auteur a bénéficié d'un financement partiel provenant d'une bourse de recherche postdoctorale décernée par la Faculté de médecine de l'Université de Heidelberg.

Écrire au : Dr Clovis Mariano Faggion Jr., Département de prosthodontie, École de médecine dentaire de l'Université de Heidelberg, Im Neuenheimer Feld 400, 69120 Heidelberg, Allemagne. Courriel : clovisfaggion@yahoo.com

Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues et politiques officielles de l'Association dentaire canadienne.

Cet article a fait l'objet d'une révision par des pairs.