La population infectée par le VIH augmente et bon nombre de ces patients présentent un tableau clinique atypique. Il est impératif que les dentistes connaissent les manifestations de cette infection, afin de pouvoir poser un diagnostic et instaurer un traitement précoce. Nous décrivons ici le cas d'un homme adulte chez qui la tuméfaction de la parotide a été la première manifestation de l'infection par le VIH. Cet article fait ressortir l'importance de soupçonner une infection par le VIH lorsqu'un patient présente une tuméfaction kystique de la parotide.
Étude de cas
Un homme de 42 ans a été dirigé vers le service de chirurgie maxillofaciale par un omnipraticien, à cause d'une tuméfaction de la parotide droite qui progressait lentement depuis un an (ill. 1). Le patient n'avait aucun antécédent de douleur ou d'écoulement purulent. En réponse au questionnaire, le patient avait nié avoir eu de multiples expositions sexuelles ou des transfusions sanguines ou avoir fait abus de drogues.
L'examen extrabuccal a révélé la présence d'une tuméfaction dans le lobe arrière de la parotide, juste sous le lobule de l'oreille droite. La tuméfaction était ferme à la palpation. L'ouverture de la bouche était dans les limites de la normale et il n'y avait aucune adénopathie cervicale. À l'examen intrabuccal la muqueuse semblait humide et normale. Aucune manifestation buccale du VIH n'était apparente. Le drainage de la parotide gauche a libéré une quantité abondante de salive claire par l'orifice du canal de Sténon. Un liquide incolore contenant peu de lymphocytes et n'indiquant aucune pathologie particulière a été recueilli à l'aspiration de la lésion.
L'imagerie par résonance magnétique a révélé la présence d'une lésion kystique bien définie d'environ 35 mm de diamètre dans le lobe superficiel de la parotide droite (ill. 2). La lésion produisait un hypersignal sur les images pondérées en T2 et un hyposignal sur les images en T1, sans atteinte des tissus mous connexes. Une lésion d'environ 15 mm de diamètre a aussi été détectée dans le lobe superficiel de la parotide gauche, en plus d'un autre petit kyste exophytique associé au lobe profond de la parotide, juste devant le trou stylo-mastoïdien. Aucune adénopathie n'était visible.
Une scintigraphie au technétium 99m a révélé un fonctionnement normal des parotides, celles-ci réagissant normalement aux stimulus provoquant une augmentation du flux salivaire. L'analyse des courbes temps-activité dérivées de la scintigraphie des régions d'intérêt au-dessus de chaque parotide a montré une captation de plus en plus marquée du traceur. Après stimulation par l'administration de vitamine C par voie orale, une diminution spontanée de l'activité du traceur démontrée par le fléchissement des deux courbes a été observée, laissant croire à un fonctionnement normal des parotides.
Un diagnostic provisoire de kystes lympho-épithéliaux multiples a été posé. Comme le patient niait toute activité antérieure pouvant laisser croire à une infection par le VIH, on a présumé que l'étiologie était liée au développement. Le patient a demandé l'ablation de la lésion pour des raisons esthétiques, et une chirurgie a été prévue. Le test ELISA pour le dépistage du VIH, qui fait partie des analyses préopératoires de routine, s'est révélé positif. La numération des CD4 était de 540/mm3 de sang (fourchette normale : 390 à 1 770/mm3) et la numération des CD8 de 1 200/mm3 (fourchette normale : 240 à 1 200/mm3); cependant, le ratio CD4:CD8 de 0,45 (fourchette normale : 0,9 à 1,9) indiquait une forte probabilité d'infection à VIH1. Face à ces résultats sérologiques, le patient a admis avoir eu de multiples rapports avec des travailleuses du sexe.
Une parotidectomie superficielle a été pratiquée (ill. 3). L'examen histopathologique a révélé de multiples lésions kystiques tapissées d'épithélium pavimenteux entouré de tissus conjonctif fibreux, principalement infiltrées de lymphocytes organisés en follicules et en centres germinatifs. La lumière était constituée d'un matériau homogène pâle avec des lymphocytes et des macrophages spumeux. Certaines cellules plasmatiques et histiocytes étaient aussi visibles.
Le patient a bien toléré l'intervention et la phase postopératoire de même que la guérison de la plaie se sont déroulées sans problème. Le patient a ensuite été dirigé vers un médecin pour la prise en charge de cette affection systémique; le médecin a confirmé la séropositivité à l'égard du VIH en répétant le test ELISA suivi d'un test d'immunodétection de protéines par buvardage et a commencé un traitement antirétroviral.
Discussion
Les affections des glandes salivaires sont d'importants indicateurs diagnostiques et pronostiques de l'infection par le VIH. Des tuméfactions de la parotide2 de types variés, incluant des inflammations des glandes salivaires comme le syndrome de Gougerot-Sjögren, le syndrome d'infiltration lymphocytaire diffuse, la parotidite, l'adénopathie intraparotidienne et des lésions lympho-épithéliales bénignes, ainsi que des néoplasmes des glandes salivaires tels le carcinome adénoïde kystique, la maladie de Kaposi et le lymphome, ont été rapportées chez des patients infectés par le VIH.
Ces lésions peuvent être simples ou multiples et elles augmentent souvent de volume, causant une gêne esthétique et une stigmatisation sociale. Bien que les lésions bénignes soient pour la plupart asymptomatiques, elles peuvent subir une transformation lymphomateuse; il est donc important d'assurer un suivi constant3. Les lésions lympho-épithéliales de la parotide sont des lésions bénignes peu fréquentes, dont l'incidence est plus élevée dans les cas d'infection par le VIH. On croit que ces lésions seraient une manifestation localisée de l'adénopathie généralisée persistante associée à cette infection, mais on ne sait pas si ces lésions se forment à partir d'inclusions préexistantes des glandes salivaires dans les ganglions lymphatiques intraparotidiens ou s'il s'agit de lésions lympho-épithéliales du parenchyme salivaire, les opinions à ce sujet variant selon les auteurs4,5.
Ryan et ses collègues6 ont été les premiers à signaler des tuméfactions de la parotide chez des patients atteints du VIH; c'était en 1985. Depuis, bon nombre d'autres auteurs ont décrit diverses lésions de la parotide chez des patients séropositifs pour le VIH.Les tuméfactions kystiques de la parotide peuvent faire partie du syndrome d'infiltration lymphocytaire diffuse – un sous-ensemble d'affections liées au VIH qui se caractérisent par une lymphocytose CD8 persistante avec infiltration des parotides, des ganglions lymphatiques cervicaux et des viscères par les lymphocytes CD87 – ou il peut s'agir de kystes lympho-épithéliaux bénins.
Diverses opinions ont été exprimées dans la littérature sur la manière de traiter ces lésions. Si les patients sont asymptomatiques et qu'ils ne veulent pas subir de traitement, un suivi périodique peut s'avérer une solution de rechange acceptable. Cependant, en raison du risque de transformation maligne, des procédures invasives comme l'aspiration à l'aiguille ou la biopsie peuvent être requises si l'examen clinique ou l'imagerie soulève des doutes3. La plupart des patients demandent un traitement pour des raisons esthétiques.
Il a été démontré que la pharmacothérapie par des antirétroviraux, administrés seuls ou en association avec des corticostéroïdes, a permis d'éliminer certaines lésions de la parotide, en particulier dans les cas de syndrome d'infiltration lymphocytaire diffuse. Cependant, bon nombre de lésions kystiques ne peuvent être éliminées seulement par la pharmacothérapie8. La radiothérapie à doses faibles9 et élevées10 a été utilisée pour traiter ces lésions, mais ces traitements comportent certains inconvénients qui consistent respectivement en un taux élevé de récidive et en une transformation maligne. Bien que l'aspiration soit une méthode de diagnostic utile, elle ne peut être utilisée comme traitement définitif, car ses effets sont temporaires et la récurrence est rapide11. De meilleurs résultats ont été rapportés avec la sclérothérapie par la doxycyline, un traitement utilisé pour éviter la chirurgie, en particulier chez les enfants12.
La chirurgie est considérée comme le traitement le plus définitif pour ce type de lésions. L'énucléation qui consiste à extraire uniquement le kyste des tissus parotidiens qui l'entourent a donné lieu à une récurrence dans certains cas8. La parotidectomie superficielle est considérée comme le traitement de choix13, bien qu'elle comporte un risque important d'atteinte du nerf facial.
Notre patient a consulté, car il était fortement préoccupé par l'aspect inesthétique d'une tuméfaction asymptomatique, et il niait tout facteur de risque associé au VIH. La décision de traiter la lésion par voie chirurgicale a été prise sans connaître l'état sérologique du patient relativement au VIH. Lorsque la séropositivité a été établie, les diverses options thérapeutiques ont été discutées avec le patient et il a été décidé de pratiquer une parotidectomie superficielle. La chirurgie a été un succès et l'examen clinique de suivi après un an n'a révélé aucun signe d'atteinte du nerf facial ni récurrence de la lésion. Cet article vise à souligner le fait qu'une tuméfaction kystique de la parotide devrait soulever des doutes quant à une possible infection par le VIH.
LES AUTEURS
Références
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