La génération spontanée : le cycle de vie des règles de prévention des infections

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Soyons réalistes : si les microbes n'avaient pas été si petits, il y a belle lurette qu'on les aurait vus et Pasteur n'aurait pas fondé la science moderne en les découvrant. Il se serait contenté de stériliser des confitures.

— Jean-Baptiste Botul, La métaphysique du mou (Éditions Mille et une Nuits, Paris, France, 2007)

Je suis microbiologiste fondamental de formation. Depuis 1993, j'enseigne le contrôle de l'infection, la microbiologie buccodentaire, l'immunologie et, parfois, ce que je considère être de la philosophie. Je me plais à penser que j'exerce ma profession depuis peu, mais la couleur de mes cheveux me trahit! Durant toute cette période, j'ai enseigné la prévention des infections surtout au Québec, mais j'ai aussi eu l'occasion d'enseigner dans l'Ouest pour tenter d'apporter ma modeste contribution à la grande fresque des recommandations dans ce domaine. On pourrait dire que j'ai contribué à contaminer la dentisterie par des données microbiologiques contrariantes.

L'un de mes professeurs de microbiologie, aujourd'hui un collègue et un bon ami, m'a dit un jour que la science se préoccupe des faits, pas de la vérité – ce que l'on perd trop souvent de vue. On pense à tort que des données pures et dures donnent l'autorisation absolue d'aller au-delà des faits. Or, la rédaction d'articles scientifiques révisés par des pairs est régie par une règle générale stipulant qu'il ne faut rien affirmer qui ne soit corroboré par ses données. À titre d'évaluateur scientifique, j'applique impitoyablement cette règle.

Toutefois, l'évaluation du risque s'insinue parfois dans les faits scientifiques. Après tout, le «principe de précaution» stipule qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des preuves scientifiques irréfutables du risque avant de prendre des mesures visant à protéger les personnes et la société. Ce principe permet au moins une certaine entorse à la rigueur qu'impose la rédaction scientifique.

Il y a moins de 200 ans, bon nombre de personnes croyaient que la contamination de l'eau, de l'air et de la nourriture était causée par la génération spontanée de microbes. Il suffisait de laisser une pièce de viande quelque part et hop! des microbes y apparaissaient tout seuls. Inutile d'avoir une cellule mère. Même de grands chercheurs scientifiques ont abondé dans ce sens, jusqu'à ce que Louis Pasteur condamne une fois pour toutes cette croyance médiévale.

J'ai parfois le sentiment que les règles de contrôle de l'infection ont une vie indépendante. Une fois que le moteur est enclenché, on dirait qu'il est impossible de l'arrêter. On laisse des manuscrits sur le bureau, on navigue un peu dans Internet et voilà! une nouvelle règle voit spontanément le jour. «Je ne comprends pas ce qui s'est passé, déclare le scientifique; j'étais en train de rédiger un texte sur la merveilleuse vie des bactéries et tout à coup une directive est apparue.» Dans les années 1960, les dentistes auraient probablement ri aux éclats si quelqu'un leur avait prophétisé qu'un jour ils auraient à tout stériliser, à porter des gants et des masques inconfortables durant des heures et à consacrer un temps fou à purger des conduites d'eau comme des plombiers.

Notre monde moderne est régi par des lois. La plupart de ces lois sont probablement apparentées aux lois de Murphy, mais certaines sont fondées sur des hypothèses raisonnables. J'aime bien croire que la plupart des «lois» visant la prévention des infections font partie de cette dernière catégorie. Prenons le paradigme de la stérilisation, par exemple. Il est justifié et raisonnable de stériliser tout instrument qui entre en contact avec des tissus buccodentaires, peu importe que la procédure soit invasive ou non. Or, tenter d'adhérer au pied de la lettre à la classification de Spaulding serait l'équivalent d'essayer de séparer les lettres dans une soupe à l'alphabet. Est-ce un A ou un D? Critique ou semi-critique?

Nous savons qu'à terme la chaleur finit par endommager le matériel, et nous savons que la stérilisation et le respect à la lettre du principe «ne pas réutiliser le matériel à usage unique» imposent un lourd fardeau financier pour une clinique. Les assises de la stérilisation des articles réutilisables reposent sur la science, non pas sur une vérité ou une démonstration à toute épreuve. Quand on me demande de fournir une preuve solide qu'une pièce à main non stérilisée infectera un patient, je ne m'évertue pas à chercher un article précis sur les pièces à main ou les miroirs dentaires démontables. Quelques articles, révisés par des pairs, sur les endoscopes ou le matériel servant aux biopsies prostatiques transrectales guidées par échographie suffisent largement à convaincre quiconque qu'un mauvais nettoyage ou une stérilisation inadéquate peut avoir des conséquences fâcheuses. Ce sont là des données brutes et non pas des vérités. Si nous sommes à la recherche de la vérité, il vaudrait mieux nous inscrire à un cours de philosophie. Et encore là!

Les indicateurs biologiques : à quoi sert un endospore policier dans un emballage si les méchants jouent aux cartes dans un club privé?

J'ai montré, et en voici la preuve monsieur, que le tout est stérile parce que j'ai anéantit et détruit les bactéries avec mon nouveau stérilisateur. Les survivants vont mourir de faim. Mon appareil est tellement efficace qu'il devient inutile de faire des contrôles.

— Un inventeur dans mon bureau (1996)

Les indicateurs biologiques ne sont pas des baguettes magiques. Ils ne prouvent en rien la stérilité d'un produit. Aucun indicateur ne peut le promettre. La stérilité relève d'un calcul statistique. Les indicateurs biologiques visent à vérifier si un stérilisateur arrive à produire des conditions stérilisantes. Si un utilisateur commet plusieurs péchés durant le traitement de l'instrumentation (du nettoyage jusqu'au rangement), la stérilisation ou le maintien de la stérilité auront échoué, peu importe la qualité ou le prix du stérilisateur. Même si vous testez votre stérilisateur 10 fois par jour avec des tests biologiques, la stérilisation d'un paquet sur une charge complète peut échouer.

En dentisterie générale, je ne vois pas de raison d'effectuer des tests biologiques quotidiens. Après tout, l'Association for the Advancement of Medical Instrumentation est d'avis qu'il est acceptable d'effectuer de tels tests à une fréquence hebdomadaire, et la Medical Devices Agency du Royaume-Uni ne recommande pas le contrôle de routine de la stérilisation avec des indicateurs biologiques. Nous avons trouvé que moins de 5 tests biologiques de stérilité sur 100 échouent. De ce nombre, 8 échecs sur 10 découlent d'une mauvaise compréhension du procédé de stérilisation : parmi les erreurs commises, on trouve la surcharge de l'autoclave au point où il faut pousser sur le couvercle de toutes ses forces pour bien le fermer ou le fermer rapidement pour éviter que des instruments ne s'en échappent. Le contrôle de l'efficacité de la stérilisation avec des milliards de spores bactériennes ne fournira aucun renseignement utile sur l'état d'un instrument souillé que vous avez décidé de stériliser en sachant que la saleté peut empêcher la vapeur d'en atteindre toutes les cavités et tous les recoins. Dans un stérilisateur de type N (classique), la vapeur a plus de difficulté à pénétrer une charge que dans un stérilisateur de type B (par vide pulsé) où la vapeur est aspirée dans chaque emballage et même dans les fins conduits d'une pièce à main. Les tests biologiques quotidiens seront par conséquent de piètres indicateurs de la stérilité.

Le contrôle quotidien avec des indicateurs biologiques peut aussi instaurer un climat de confiance exagéré. Un tel contrôle est coûteux et offre peu d'avantages pour l'utilisateur et pour le patient. Si l'objectif consiste à assurer la qualité du procédé de stérilisation – et je crois que tel est le cas –, il serait plus économique et rapide d'utiliser des intégrateurs chimiques de classe 5 à l'intérieur des emballages, notamment parce qu'ils fournissent des résultats en temps réel. Toutes les semaines, ou au moins une fois par mois, un test biologique s'imposerait tout de même pour vérifier la «puissance» de stérilisation de votre appareil, mais l'utilisation d'intégrateurs pour déterminer si de la vapeur de «qualité» pénètre bien dans chaque emballage contenu dans la chambre sera plus utile que des spores bactériennes placées de manière aléatoire dans le stérilisateur.

Chérissez un cercle et il devient vicieux : les effets inattendus des citations scientifiques

Il est vivant! Vivant!

— Victor Frankenstein

Changer d'idée et revenir à des directives de contrôle des infections moins rigoureuses est une tâche presque impossible. On a l'impression que, d'une génération à l'autre, les directives ne peuvent être que de plus en plus contraignantes et difficiles à supporter. «Désolé! Je suis allé un peu trop loin!» Une fois qu'une directive est publiée, elle acquiert le statut de parole d'évangile et, grâce à Internet, elle fait le tour de la Terre 20 fois en moins de 48 heures. Alors commence le déferlement des citations, qui s'accélère et finit par devenir hors de contrôle. La directive se confond avec des faits établis et il est presque impossible de faire marche arrière sans encourir le courroux des défenseurs de l'orthodoxie.

Ainsi, nous devons user d'une très grande prudence avant de concocter une règle, une loi ou une directive. Une fois qu'elle est consignée dans le «grand livre», il est presque certain que quelqu'un quelque part la diffusera sans la remettre en question. Personne ne peut être contre la vertu, comme on dit. Or, c'est probablement là le plus grand piège dans lequel on peut tomber sans le savoir. Justement puisqu'on ne peut s'opposer à la vertu, on peut avoir tendance à se laver les mains de certaines questions délicates et à pelleter le problème dans la cour du voisin. On le fait tous à l'occasion, moi y compris.

Ne vous y méprenez pas. Je crois fermement aux mérites des règles de prévention des infections pour protéger tant les patients que les praticiens. Si tel n'était pas le cas, je n'enseignerais pas ces règles et je ne les mettrais pas en pratique. Je ne vais pas non plus commencer à remettre en question toutes ces règles. Je crois cependant qu'il ne faut pas user ipso facto du principe de précaution pour justifier de nouvelles «lois» sans avoir examiné les inconvénients éventuels qu'elles pourraient avoir dans notre sphère immédiate et à l'extérieur.

On reconnaît un homme habile à ses réponses; mais on reconnaît un homme sage à ses questions.

— Naguib Mahfouz, écrivain

L'AUTEUR

Le Dr Barbeau est professeur de microbiologie aux facultés de médecine dentaire et de médecine de l'Université de Montréal, Montréal (Québec).

Écrire au: Dr Jean Barbeau, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal, C.P. 6128, Succ. Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7. Courriel : jean.barbeau@umontreal.ca

Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues et politiques officielles de l'Association dentaire canadienne.

Cet article a été révisé par des pairs.