SOMMAIRE
Le kératokyste odontogène (KKO) est un kyste du développement non inflammatoire chronique, qui peut être uniloculaire ou multiloculaire et dont les particularités histologiques sont pathognomoniques. Un homme de 41 ans s'est présenté pour l'évaluation d'urgence d'une tuméfaction gingivale buccale dans la zone des dents 34 et 35. Une incision avec drainage a été pratiquée et a été suivie, 3 semaines plus tard, d'un curetage chirurgical et d'une régénération tissulaire guidée avec allogreffe Puros et membrane résorbable. La biopsie des tissus excisés a révélé un KKO. Au moment du suivi après un an, le patient n'avait plus de malaise et la pathologie radioclaire avait complètement disparu. Ces cas exigent un examen périodique en raison du taux élevé de récidive des KKO.
Introduction
Les kystes des mâchoires représentent environ 17 % des spécimens de pathologie buccale1. Le type de kyste odontogène le plus répandu est le kyste périapical, suivi des kératokystes dentifères et odontogènes (KKO)2,3. Les KKO se manifestent le plus souvent durant les deuxième et troisième décennies de la vie et touchent un peu plus les hommes que les femmes (ratio hommes/femmes de 1,3:1)3. La plus récente classification de l'OMS4 classe le KKO comme un kyste du développement non inflammatoire qui se forme à partir des vestiges de cellules de la lame dentaire.
Nous décrivons dans ce rapport le traitement d'un KKO dans la région des prémolaires inférieures, par régénération tissulaire guidée (RTG) avec allogreffe osseuse et membrane de collagène bovin.
Étude de cas
Un homme de 41 ans a été dirigé vers un cabinet privé de parodontie pour l'évaluation urgente d'une tuméfaction gingivale buccale dans la région des prémolaires inférieures gauches (dents 34 et 35). Le patient avait découvert l'enflure 7 à 10 jours auparavant. Ses antécédents médicaux ne permettaient pas d'orienter le diagnostic. L'examen intrabuccal a révélé des profondeurs au sondage d'au plus 3 mm. Une masse mobile de 10 mm × 10 mm a été découverte dans les tissus gingivaux buccaux des dents 34 et 35. Une radiographie rétroalvéolaire de la zone a révélé une lésion radioclaire circonscrite et bien définie entre les racines des dents 34 et 35, dont la face distale semblait se superposer au tiers coronaire de la racine de la dent 35 (ill. 1). Des tests de vitalité ont révélé que la pulpe des dents 34 et 35 était vivante; la dent 34 était sensible à la percussion, mais les profondeurs au sondage étaient normales.
La lésion ressemblait à un abcès parodontal. Comme le patient ressentait de l'inconfort, une incision et un drainage ont été pratiqués pour soulager la pression. Une quantité abondante de pus a été retirée et le patient a dit ressentir un «soulagement instantané». De l'amoxicilline (dose de départ de 2 comprimés de 500 mg, suivie d'un comprimé 3 fois par jour pendant 10 jours) lui a été prescrite.
Trois semaines plus tard, le patient est revenu au cabinet en déclarant que l'enflure était revenue (ill. 2). L'examen a révélé la présence d'une tuméfaction indolore dans les tissus faciaux des dents 34 et 35. Une chirurgie exploratrice a été recommandée et le consentement éclairé du patient a été obtenu.
Une anesthésie par infiltration buccale et linguale d'articaïne 1:100 000 avec épinéphrine (1,5 mL) a été réalisée. Une incision buccale intrasulculaire a été pratiquée de la face mésiale de la dent 34 jusqu'à la face distale de la dent 36, avec une incision verticale de relâchement se prolongeant au delà de la jonction muco-gingivale sur la face mésiale de la dent 34. Un lambeau mucopériosté de pleine épaisseur a été élevé pour donner accès à la zone atteinte.
Une lésion bien définie, mesurant environ 10 mm × 10 mm, a été découverte (ill. 3). La lésion a été énuclée sans rupture et soumise à un examen histopathologique. Le défaut osseux a été complètement débridé jusqu'à ce qu'il y ait saignement. Les parois ont été décortiquées avec une fraise demi-ronde. Une allogreffe Puros (Zimmer, Carlsbad, CA) et une membrane résorbable Ossix (OraPharma, Warminster, PA) ont été utilisées pour combler et recouvrir le défaut osseux conformément aux instructions du fabricant (ill. 4a et 4b).
Le lambeau a été remis en place et suturé par des points séparés simples réalisés avec du Dacron 5.0 selon une suture primitive (ill. 5). Après l'intervention, le patient a reçu 1000 mg d'acétaminophène, ainsi que des directives orales et écrites. On lui a aussi prescrit de la céfalexine (500 mg, 4 fois par jour pendant 7 jours), un rince-bouche contenant 0,12 % de chlorhexidine (2 fois par jour pendant 7 jours), ainsi que de l'hydrocodone avec acétaminophène (bitartrate d'hydrodocone : 5 mg; acétaminophène : 500 mg), toutes les 4 à 6 heures au besoin pour soulager la douleur. La guérison s'est faite sans complication et, au moment du suivi après 3 mois, les résultats ont été jugés satisfaisants.
L'examen histopathologique a révélé la présence de fragments de tissus conjonctifs fibreux avec infiltrat cellulaire inflammatoire chronique de modéré à dense et une zone entourée d'os lamellaire. L'épithélium pavimenteux stratifié était d'épaisseur variable, quoiqu'une portion importante était d'une minceur uniforme et présentait une surface de parakératine ondulée et une couche de cellules basales disposées en palissade. Les parois des tissus conjonctifs fibreux présentaient des sillons de cholestérol et des «kystes-filles» – deux particularités caractéristiques du KKO (ill. 6a-6c).
Au moment du suivi après un an, la zone était complètement guérie et les profondeurs au sondage étaient normales. Le patient a dit ne ressentir aucun malaise. L'examen radiographique a révélé une radio-opacité normale sous divers angles et n'a montré aucun signe de récidive.
Discussion
Sur le plan histologique, le KKO se caractérise par une couche épithéliale uniforme sans corps muqueux de Malpighi, une lumière parakératinisée ou orthokératinisée ondulée et une importante couche de cellules basales5,6. Le KKO s'observe plus souvent dans la partie postérieure du maxillaire inférieur et la partie antérieure du maxillaire supérieur, en particulier dans la région des canines7. Comme le KKO peut ressembler à d'autres lésions, il peut être difficile de poser un diagnostic basé uniquement sur des données cliniques et radiologiques8. Ce type de kyste présente un taux élevé de récidive, ce taux variant de 20 % à 60 % selon les rapports5,8. L'excision chirurgicale complète du kyste est le traitement de choix.
À la radiographie, le KKO peut paraître uniloculaire ou multiloculaire9. Les petits kystes uniloculaires peuvent être pris à tort pour des kystes périapicaux, dentifères, parodontaux latéraux ou gingivaux, alors que les KKO uniloculaires plus gros peuvent laisser croire à des améloblastomes6. Sur le plan radiographique, le KKO uniloculaire présente une radioclarté bien définie. L'histologie du KKO est pathognomonique : la cavité kystique est tapissée d'une mince couche de tissu conjonctif recouverte d'un épithélium pavimenteux stratifié orthokératinisé ou parakératinisé.
Très peu de cas de KKO osseux inter-radiculaires entiers dans la zone prémolaire inférieure ont été signalés. Dans le cas présent, le kyste comportait non seulement une anomalie osseuse, mais était aussi accompagné d'un œdème des tissus mous.
Les kystes de la mâchoire sont soit des kystes du développement, soit des kystes d'origine inflammatoire. Leur fréquence varie en fonction des vestiges d'épithélium dans les mâchoires4,10,11.
Les kystes gingivaux sont des kystes du développement peu fréquents chez les adultes qui, à l'âge adulte, s'observent le plus souvent chez des personnes de plus 40 ans. Dans certains cas, le diagnostic s'appuie sur des données cliniques et, dans d'autres, sur l'examen histologique des spécimens de biopsie. Le kyste peut s'accompagner d'une atteinte osseuse et d'une tuméfaction gingivale. Chez l'adulte, ces kystes se développent le plus souvent entre les canines et les prémolaires mandibulaires, un siège également propice aux kystes parodontaux latéraux. Ceci peut créer de la confusion au moment du diagnostic, comme ce fut le cas ici, car le KKO peut se présenter sous forme de kyste parodontal latéral ou de lésion gingivale d'allure kystique.
Les kystes gingivaux sont tapissés d'un mince épithélium pavimenteux non kératinisé, parfois avec épaississement focal, que l'on peut aussi observer dans les kystes parodontaux latéraux10. Les kystes parodontaux latéraux sont rares; ils se manifestent chez les adultes, le plus souvent au maxillaire inférieur, et parfois sous forme de tuméfaction indolore. À la radiographie, ces kystes ont l'aspect de radioclartés rondes ou ovales, avec radio-opacité marginale. Ces kystes sont tapissés d'un mince épithélium pavimenteux stratifié non kératinisé, parfois avec épaississement focal12. Il est recommandé de faire une réévaluation continue de ces kystes. Bien que les KKO se forment le plus souvent dans la région des troisièmes molaires inférieures, ils peuvent aussi se manifester ailleurs, y compris dans l'os mandibulaire. La présence d'un kyste ressemblant à un kératokyste a aussi été observée dans des tissus gingivaux mous13. À la radiographie, les KKO ont l'aspect d'une radioclarté ronde ou ovoïde et peuvent être multiloculaires. Le diagnostic des kystes uniloculaires repose sur l'histologie.
Le KKO est tapissé d'une mince couche de tissu conjonctif recouvert d'un épithélium pavimenteux stratifié orthokératinisé ou parakératinisé, avec cellules basales cylindriques ou cubiques. S'il y a infection, des cellules inflammatoires sont présentes dans le kyste. Le kyste peut aussi contenir des sillons de cholestérol, comme dans le cas décrit ici. Enfin, comme les KKO – en particulier de type parakératinisé – sont sujets à récidive, un examen régulier continu est recommandé.
Des études cliniques à court14 et à long15,16 termes montrent que la RTG est plus efficace pour le traitement des défauts intraosseux que seulement le débridement avec lambeau libre.
Dans le cas qui nous intéresse, le patient était totalement asymptomatique et la radioclarté avait complètement disparue à la radiographie, au moment du suivi après un an (ill. 7a et 7b).
Conclusions
Dans le cas présent, on s'attendait à une régénération minimale sans l'utilisation de techniques de régénération. La RTG avec allogreffe osseuse a amélioré l'issue du traitement après l'ablation chirurgicale complète avec débridement et décortication17. Ces cas exigent une évaluation régulière et continue.
LES AUTEURS
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