La féminisation de la dentisterie : Répercussions sur la profession

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Sommaire

L'augmentation soutenue de la proportion de femmes en dentisterie au cours des 40 dernières années soulève des questions quant aux effets de cette féminisation sur la profession. Un recensement de la littérature – bien que limité – met en lumière des enjeux hommes-femmes potentiellement importants, notamment en ce qui a trait aux répercussions sur les heures de travail, les modèles de pratique, les revenus de profession libérale, la relation dentiste-patient, les philosophies guidant la pratique clinique, la spécialisation, la carrière en milieu universitaire et le leadership. Même si les cohortes constituées en majorité de femmes dentistes sont un phénomène nouveau au sein de la population active, et qu'il est donc difficile de prévoir les effets à long terme, certaines tendances se dessinent déjà : les femmes sont moins susceptibles que les hommes de posséder leur propre cabinet; les femmes peuvent travailler de 4 à 6 heures de moins par semaine et voient moins de patients; on remarque une disparité des revenus; les dentistes généralistes et spécialistes de sexe féminin semblent travailler davantage en milieux urbains et les femmes sont moins nombreuses dans les spécialités, le milieu universitaire et les rôles de direction. Sous l'effet de la féminisation, la profession pourrait donc subir un virage marqué par une diminution de l'entreprenariat, une plus grande urbanisation et peut-être aussi une diminution des heures de services cliniques offerts à la population. Comme l'objectif ultime est d'assurer l'excellence des soins offerts aux patients, ces changements pourraient se traduire par une augmentation du nombre d'inscriptions dans les facultés, la mise en œuvre de mesures incitatives officielles visant à favoriser la pratique en milieu rural, ainsi que la mise en place d'un plus grand nombre de programmes d'enseignement et de politiques axés sur les affaires pour modifier l'enseignement supérieur destiné aux femmes qui ont des enfants. Bien qu'encore préliminaires, les données actuelles sont néanmoins pertinentes pour les responsables de l'élaboration des politiques, les établissements d'enseignement et les organismes de réglementation de la profession.


Introduction

La dentisterie est une profession à prédominance masculine. Ce n'est que depuis les années 1970 que les femmes ont fait une percée majeure dans la profession1, dans la foulée des initiatives professionnelles et des mouvements féministes. Ceci soulève des questions sur les effets de la féminisation sur la dentisterie, la féminisation étant définie comme une augmentation de la présence féminine et les changements qui en découlent au sein de la profession1,2. Bien que les dentistes qui exercent en Amérique du Nord sont en majorité des hommes, cette situation est sur le point de changer. En Ontario, les femmes représentaient 16 % des dentistes en 1991; cette proportion est passée à 28 % en 2005 et, en 2010, la majorité des étudiants inscrits en médecine dentaire en Amérique du Nord étaient des femmes2.

Ces changements s'accompagneront-ils de changements au sein de la profession? De l'avis de certains, la féminisation aura d'importantes répercussions sur l'offre de la main-d'œuvre, les caractéristiques de la pratique et les idéaux professionnels1-5. Les femmes dentistes étant soumises à des pressions sociétales et familiales différentes, auront-elles aussi des attentes et des objectifs différents? Dans quelle mesure cela influencera-t-il la prestation des soins aux patients? Bien que les données canadiennes demeurent limitées, un recensement de la littérature met en lumière d'importantes questions, notamment quant aux répercussions sur les heures de travail, les modèles de pratique, les revenus de profession libérale, la relation dentiste-patient, les philosophies guidant la pratique clinique, la spécialisation, les carrières en milieu universitaire et le leadership.

Profil démographique

En 2008, la proportion de femmes dentistes au Canada variait de 16,7 % à 37,4 %, avec une moyenne de 27,6 %; en 2011, la fourchette se situait entre 24,4 % et 38,0 %, avec une moyenne de 29,5 % (tableau 1). En 2008, 6 facultés canadiennes de médecine dentaire sur 10 comptaient davantage de femmes que d'hommes parmi les étudiants diplômés (tableau 2). On ne possède pas de données annuelles permettant d'établir des comparaisons sur plusieurs années, ni de données provinciales sur la répartition par sexe des dentistes formés à l'étranger ayant obtenu un diplôme d'un établissement canadien. Alors qu'en 2008 l'Ontario affichait le plus grand nombre de diplômés parmi tous les programmes d'équivalence menant à un grade au Canada (de 32 à 41 diplômés par année)6, en 2001, 34 % des femmes dentistes en Ontario avaient été formées à l'étranger, contre 15 % des hommes2.

 

 

Heures de travail

L'une des différences les plus souvent mentionnées entre les hommes et les femmes dentistes est l'allégation voulant que les femmes travaillent moins. Au Canada, la durée moyenne de la carrière d'un dentiste est de 20 ans pour les femmes et de 35 ans pour les hommes. L'entrée d'un nombre croissant de femmes dans la profession pourrait donc entraîner de futures pénuries3. En Nouvelle-Zélande, les deux tiers des dentistes de sexe masculin prévoient prendre leur retraite après l'âge de 60 ans, alors que les deux tiers de leurs homologues féminins prévoient le faire avant7. Aux États-Unis, les statistiques sur le travail indiquent que, parmi les dentistes âgés de moins de 55 ans, 96 % des hommes travaillent toujours, contre 90 % des femmes4.

Selon les données du Recensement du Canada de 2006, les dentistes de sexe masculin de l'Ontario travaillent en moyenne 39,5 heures par semaine et 47,2 semaines par année, alors que ces chiffres s'établissent à 35,6 heures par semaine et à 44,7 semaines par année pour les femmes8. Un sondage réalisé en 2002 auprès des dentistes de l'Ontario n'a toutefois révélé aucune différence globale dans les heures de travail par année2, des différences entre les sexes n'étant observées que pour la cohorte la plus jeune où le nombre d'heures de travail par semaine était de 39,2 heures pour les hommes contre 35,5 heures pour les femmes (soit 5 semaines de travail de moins par année). Une étude réalisée dans l'État de Washington5 a révélé que les femmes dentistes, en particulier celles âgées de 25 à 40 ans, travaillent 10 % moins de jours, traitent 10 % moins de patients et exécutent 10 % moins de procédures. En se basant sur ces chiffres, on peut en déduire que, pour chaque augmentation de 5 % du nombre de femmes dentistes, il y aurait 1,2 % (15 000) moins de patients traités chaque année. D'autres recherches montrent que les femmes dentistes voient moins de patients chaque année9. Les statistiques sur le travail aux États-Unis4 indiquent que 30 % des femmes et 14 % des hommes ont travaillé à temps partiel (c.-à-d. moins de 32 heures par semaine), et que 16 % des femmes et 30 % des hommes ont travaillé plus de 42 heures par semaine, entre 1986 et 1999. De même, une autre étude réalisée aux États-Unis en 201110 a révélé une proportion nettement plus élevée d'hommes (89 %) que de femmes (75 %) dentistes travaillant à temps plein.

Selon Adams2, l'état matrimonial et le fait d'être un parent peuvent expliquer les différences observées entre le nombre d'heures de travail des hommes et des femmes. L'étude menée par cette chercheuse auprès des dentistes de l'Ontario indique que les femmes âgées de 25 à 37 ans travaillent de 3,5 à 6 heures de moins par semaine que les hommes. En revanche, les femmes célibataires travaillent le même nombre d'heures que les hommes et celles âgées de 32 à 37 ans et de plus de 48 ans travaillent plus2. À l'opposé, une étude américaine4 a révélé que l'état matrimonial des femmes n'avait pas d'incidence sur le nombre d'heures de travail, après correction en fonction de la présence d'enfants. Dans le cas des hommes, le mariage a pour effet d'ajouter une heure de travail par semaine. Le fait d'avoir des enfants réduit de 7 heures par semaine le nombre d'heures de travail des femmes, mais n'a pas d'incidence chez les hommes. Selon une étude sur les médecins, les femmes se chargent de 67 % des tâches liées aux enfants et des tâches domestiques, alors que les proportions s'établissent respectivement à 19 % (soins des enfants) et 26 % (tâches ménagères) pour les hommes11. Ces données montrent que la répartition des tâches liées au ménage influe sur les heures de travail. Enfin, un sondage mené au Royaume-Uni a révélé que 50 % des femmes dentistes travaillent 2 jours ou moins par semaine, principalement du fait qu'elles doivent s'occuper des enfants (65 %)12,13.

Modèle de pratique

De l'avis de certains, les hommes et les femmes n'exercent pas leur profession de la même manière. Ainsi, selon un sondage réalisé aux États-Unis10, 74 % des hommes contre 54 % des femmes possédaient leur propre cabinet ou étaient associés dans un cabinet privé. En Ontario, les données du Recensement du Canada de 2006 ont révélé que 83 % des dentistes de sexe masculin étaient des travailleurs autonomes (dont 57 % non constitués et 26 % constitués) contre une proportion de 63 % chez les femmes (48 % non constituées et 15 % constituées), et que 17 % des dentistes de sexe masculin contre 37 % des femmes dentistes travaillaient comme employés8 . Selon une autre étude menée en Ontario, 55 % des hommes et 35 % des femmes travaillaient seuls en cabinet privé2. Cette étude a également révélé que les hommes dentistes qui exerçaient seuls ou en groupe dans un cabinet privé embauchaient plus de personnel que les femmes dentistes2. Ces dernières étaient également plus susceptibles de travailler comme associés (27,2 % c. 9,2 % des hommes), en particulier dans la cohorte la plus jeune (46 % c. 22,9 %)2. De même, les résultats d'une étude réalisée en Nouvelle-Zélande indiquent que 47,7 % des femmes contre 22,3 % des hommes travaillent comme associés7, les femmes étant par ailleurs près de deux fois plus susceptibles que les hommes de travailler en milieu hospitalier (13,1 % c. 7,6 %). Cette situation s'observe également dans le domaine de la pharmacie, qui a connu lui aussi un afflux de femmes et où davantage de femmes travaillent en milieu hospitalier ou dans des pharmacies corporatives que dans des entreprises indépendantes1. Enfin, les femmes dentistes sont plus susceptibles que les hommes de travailler en milieu urbain 4,14.

Revenu

En 2000, les femmes dentistes de l'Ontario ont réalisé des gains annuels moyens de 84 655 $, comparativement à 145 304 $ pour les hommes2. Cet écart de 58 % pourrait être attribuable à la proportion plus élevée de femmes qui travaillent comme associées. Selon une étude réalisée auprès des dentistes de l'État de Washington5, le revenu annuel total des femmes est de 10 % inférieur (17 761 $) à celui des hommes. Il convient toutefois de noter que les femmes dentistes traitent 10 % moins de patients, exécutent 10 % moins de procédures, comptent un plus grand nombre de patients pédiatriques et sont 7,9 ans plus jeunes que les hommes. Aucune différence n'a été relevée quant au revenu ou au nombre de procédures par patient. Selon une autre étude dont les données ont été corrigées en fonction des facteurs influençant le revenu (propriété d'un cabinet, âge, heures de travail), le revenu net moyen des femmes dentistes aux États-Unis est de 22 % inférieur à celui des hommes (95 410 $ c. 121 640 $)15.

Relation dentiste-patient

Certains allèguent que les femmes dentistes ont des traits de caractère différents et qu'elles se distinguent notamment par leur plus grande empathie et leurs meilleures aptitudes à communiquer16-18. On considère que les femmes dentistes sont moins pressées, qu'elles sont plus enclines à discuter des problèmes avec les patients et qu'elles ont une attitude plus humaine et compatissante18. Une comparaison entre les hommes et les femmes dentistes travaillant à temps plein n'a révélé aucune différence dans le nombre de patients traités chaque semaine ou le nombre de jours que les patients doivent attendre pour obtenir un rendez-vous10. En ce qui a trait à la prise de décisions, il semble que les femmes dentistes prennent leurs décisions en se fondant davantage sur leurs «sentiments» (valeurs personnelles, maintien de l'harmonie, sympathie et tact), alors que les hommes sont plus «rationnels» (logique, cohérence, objectivité)17. Les étudiantes en médecine dentaire auraient de meilleures aptitudes sociales, seraient plus expressives et sensibles sur le plan affectif, plus expressives verbalement et plus sensibles aux besoins du patient, alors que les hommes auraient un meilleur contrôle de leurs émotions16. On considère également que les hommes dentistes (46 %) s'attendent davantage à ce que le patient ressente de la douleur que les femmes (8 %)18.

D'autres données montrent que les hommes et les femmes dentistes se ressemblent davantage qu'ils ne diffèrent17,19. Ainsi, un sondage mené auprès de dentistes canadiens19 n'a révélé aucune différence entre les sexes quant à leur attitude à l'égard de la prestation bénévole de soins ou à diverses opinions au sujet des soins dentaires financés par l'État. De même, une étude américaine10 n'a révélé aucune différence entre les hommes et les femmes dentistes dans le nombre de patients traités qui étaient couverts par une assurance.

Philosophies cliniques

Des données laissent croire que les hommes et les femmes diffèrent quant à leur façon d'aborder la pratique clinique. Plusieurs études montrent notamment des différences dans l'application des procédures relatives au contrôle des infections, les hommes étant moins susceptibles d'utiliser des gants, des masques et des lunettes de protection et plus susceptibles d'être blessés par des objets pointus et tranchants20. Une autre étude indique que les femmes dentistes préconisent une philosophie davantage axée sur la prévention, adoptent des démarches plus conservatrices en matière de restauration et encouragent davantage les stratégies de prévention durant les premiers stades de la carie10. Les hommes dentistes pour leur part interviendraient plus souvent pour traiter des lésions de l'émail chez des patients à faible risque21. Les femmes dentistes seraient plus sensibles à la prévention secondaire des troubles alimentaires que leurs homologues masculins22. Une étude9 montre également que les femmes sont plus susceptibles de diriger leurs patients vers des spécialistes dans les cas de larges prothèses fixes à éléments multiples, de traitements endodontiques sur des dents monoradiculaires et pluriradiculaires, d'extractions chirurgicales, de chirurgies parodontales, de pathologies maxillo-faciales et d'implants. Une étude a ainsi révélé que les femmes dentistes avaient plus souvent dirigé leurs patients vers des spécialistes : 70,3 % d'entre elles l'avaient fait pour des chirurgies simples et complexes chez des patients fragilisés contre 49,5 % de leurs homologues masculins23.

Spécialisation

En 2001, les femmes représentaient 23 % des dentistes généralistes et 14 % des spécialistes2. Cet écart ne se remarque pas en médecine où les femmes représentaient 43,4 % des étudiants diplômés inscrits à des programmes de spécialisation en Ontario, en 200924. Comme l'afflux de femmes en médecine en Ontario s'est produit beaucoup plus tôt (1911) qu'en dentisterie (1950–1960)1, la parité hommes-femmes dans cette dernière profession pourrait également être atteinte avec le temps.

La répartition des femmes dans les diverses spécialités est également inégale, peu de femmes choisissant la chirurgie buccale et maxillo-faciale (CBMF) ou l'endodontie25. Selon une étude américaine 25, 61 % des femmes spécialisées en CBMF ont déclaré avoir été victimes de préjugés liés au genre, 48 % ont déclaré avoir fait l'objet de partialité dans leur pratique et 38 % ont indiqué avoir été victimes de harcèlement sexuel durant leur résidence. Cette même étude a révélé une diminution du taux de nuptialité chez les femmes spécialisées en CBMF et une hausse du taux de divorce. Un rapport sur les médecins spécialistes en Suisse26 a indiqué que le sexe de la personne était le principal facteur influençant le choix de la spécialité, les femmes étant sous-représentées dans les spécialités chirurgicales.

Le lieu de travail et la proximité à la famille sont les facteurs qui influencent le plus le choix d'une spécialité chez les étudiantes en médecine dentaire27. Ceci se reflète dans la répartition inégale des spécialistes en Ontario où les femmes sont plus susceptibles de travailler en milieu urbain (61 % des femmes c. 48 % des hommes) qu'en milieu rural (0 % des femmes c. 7 % des hommes)2. Les femmes spécialistes semblent également avoir des attitudes plus conservatrices à l'égard de certaines questions professionnelles (p. ex., au sujet des cabinets indépendants d'hygiène dentaire et du rôle des sociétés d'assurance dans la détermination du traitement dentaire)2.

La durée des programmes de spécialisation coïncide avec la période de fécondité des femmes et pourrait être une des raisons expliquant le fossé entre les sexes chez les spécialistes. La plupart des femmes (60,7 %) commencent leurs études supérieures en dentisterie avant d'avoir des enfants, ce qui n'est pas le cas des hommes (34,3 %)7. De même, une plus grande proportion d'hommes (65 %) que de femmes (21,4 %) spécialistes ont leurs enfants avant ou pendant leurs études supérieures. Statistique étonnante, 17,9 % des femmes spécialistes n'ont pas d'enfants, alors que cette proportion n'est que de 0,7 % chez leurs homologues masculins. Le manque de souplesse dans les relations conjugales pourrait contribuer au nombre plus restreint de femmes spécialistes, la moitié des hommes dentistes contre le quart des femmes ayant déclaré que leur partenaire avait adapté leur carrière pour répondre aux besoins de la leur7.

Carrière universitaire et leadership

Une étude28 a examiné l'avancement professionnel des femmes dentistes en regard des nominations professorales, du nombre de publications et du leadership exercé au sein d'organisations professionnelles. Parmi 9 revues de dentisterie, seulement 13 % des premiers auteurs et 9 % des derniers auteurs (principaux) étaient des femmes. De plus, 12 % des hommes dentistes ayant publié possédaient à la fois un DDS et un Ph.D.,  contre 1 % des femmes. Bien que le taux de publication des femmes ait augmenté depuis 1986, cette hausse ne reflète pas le nombre de femmes qui ont fait leur entrée dans le milieu universitaire ou la population active. Depuis le milieu des années 1990, on observe une faible augmentation du nombre de femmes occupant un poste permanent ou un poste menant à la permanence en dentisterie et, de 1985 à 2006, la proportion de femmes exerçant les fonctions de doyen est passée de 2 % à 18 %. Parmi les organismes représentant des spécialistes, c'est l'American Academy of Public Health Dentistry qui affiche la plus forte proportion de femmes ayant exercé les fonctions de président (10 %), alors que 3 organismes n'ont jamais eu de femmes à ce poste (American Association of Oral and Maxillofacial Surgery, American Association of Orthodontists et American Association of Pediatric Dentistry). De même, un examen des sites Web des organismes dentaires du Canada montre que peu de postes de direction – au sein des conseils d'administration, des conseils d'association ou des comités exécutifs – sont occupés par des femmes.

Aux États-Unis, bien que l'on n'observe aucune différence entre les hommes et les femmes qui font partie du corps professoral en dentisterie quant aux heures de travail par semaine, au temps consacré à la recherche ou au financement disponible29, les hommes sont plus susceptibles d'avoir accès à un bureau, à des services de soutien de secrétariat, à du temps de recherche protégé et à de l'espace de laboratoire. Les femmes considèrent que le milieu de travail est moins accueillant et se disent davantage victimes de harcèlement sexuel (32,7 % des femmes c. 3,4 % des hommes). Les femmes professeures d'université sont également moins susceptibles d'être mariées ou d'avoir un partenaire (69,3 % des femmes c. 90 % des hommes) ou des enfants (57 % c. 87,9 %) et plus susceptibles d'avoir moins d'enfants (1,14 c. 2,1 enfants). Une étude des membres du corps professoral en médécine30 fait état de conclusions similaires.

Plusieurs organismes et initiatives (p. ex., American Dental Education Association, Executive Leadership in Academic Medicine Program for Women) veulent améliorer la culture universitaire pour les femmes31. Cette question est importante, car on signale toujours des incidents – réels ou perçus – associés à des préjugés liés au genre ou au harcèlement chez les femmes en milieu universitaire28,29,31. Selon Dannels et ses collègues31, 97 % des doyens de 29 facultés de médecine dentaire des États-Unis et de 4 facultés canadiennes estiment que le milieu de travail est aujourd'hui plus favorable aux femmes. Entre le quart et le tiers notent que des politiques ont été mises en place pour soutenir les femmes professeures d'université, mais que l'on pourrait faire encore mieux : 68,8 % des établissements offrent des avantages sociaux aux professeurs à temps partiel; 46,9 % offrent une clause facultative de report de la période menant à la permanence et 30 % une clause automatique, pour tenir compte de la naissance ou de l'adoption d'enfants. De plus, 40,6 % offrent des services de garde sur place ou à proximité et 12,5 % offrent une possibilité de permanence pour les professeurs à temps partiel. Enfin, parmi les 10 facultés de médecine dentaire du Canada, une seule (Université Laval) a eu une femme au poste de doyen (de 1995 à 2000)32.

Discussion

Les hommes et les femmes dentistes diffèrent sur un certain nombre de points, mais on ignore pour l'instant si ces différences auront d'importantes répercussions sur la dentisterie. Les effets de la féminisation demeurent en effet imprécis, car les données actuelles ne sont pas suffisamment solides pour tirer des conclusions. Étant donné le grand nombre de variables en jeu, des études devront être menées en tenant compte des effets de différents facteurs tels que l'âge, l'état matrimonial, la présence d'enfants, l'ethnicité, le fait d'être propriétaire d'un cabinet ou de travailler comme associé, ainsi que le statut (étudiants ou praticiens). Malgré ces lacunes, le présent recensement de la littérature a mis en lumière des similitudes entre un certain nombre d'études : moins de femmes possèdent leur propre cabinet; les femmes travaillent de 4 à 6 heures de moins par semaine et voient moins de patients; il existe une disparité des revenus entre les sexes; les femmes généralistes et spécialistes semblent privilégier davantage les milieux urbains et les femmes sont moins présentes dans le milieu universitaire, en spécialités et dans les postes de direction.

La profession pourrait donc s'engager sur une voie caractérisée par une réduction de l'entreprenariat, une plus grande urbanisation et, peut-être aussi, une réduction du nombre de patients traités. Par ricochet, cela pourrait signifier une augmentation future du nombre d'inscriptions dans les facultés, la mise en place de mesures incitatives officielles visant à favoriser la pratique en milieu rural, ainsi que la mise en œuvre d'un plus grand nombre de programmes d'enseignement et de politiques axés sur les affaires pour modifier les programmes d'études supérieures destinés aux femmes ayant des enfants, corriger les inégalités des revenus et évaluer les pratiques et les politiques des établissements33-37.

Afin d'approfondir nos connaissances sur les effets de la féminisation sur la dentisterie au Canada, des données locales devront être recueillies. Les futures recherches devront inclure des sondages auprès des dentistes canadiens visant à déterminer les différences dans les régimes de travail; des sondages auprès des étudiants canadiens en médecine dentaire pour déterminer leurs objectifs de carrière et les facteurs qui y font obstacle, ainsi que des groupes de discussion, comme cela se fait ailleurs13, pour déterminer les obstacles auxquels font face les femmes dentistes dans la pratique clinique, le milieu universitaire et les rôles de direction et proposer des solutions. Ces études seront importantes pour aider les doyens, les cadres supérieurs et les organismes de direction et de réglementation dans leur gestion des changements susceptibles de découler de la féminisation de la profession.

LES AUTEURS

La Dre Mckay est étudiante de troisième année de la Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto, Toronto (Ontario).

Le Dr Quiñonez est professeur adjoint à la Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto, Toronto (Ontario).

Écrire à la : Dre Julia McKay, Université de Toronto, Faculté de médecine dentaire, 124, rue Edward, Toronto (Ontario)  M5G 1G6. Courriel : julia.mckay@utoronto.ca

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été revu par des pairs.

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