Les patients porteurs d’une greffe d’organe plein ou d’implants mammaires doivent-ils recevoir une antibiothérapie prophylactique avant un traitement dentaire?

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Grâce aux avancées de la médecine et de la chirurgie et à l'approfondissement de nos connaissances du système immunitaire, la greffe d'organes pleins humains est devenue un traitement aux résultats prévisibles. À son sommet, en 2007, le Registre canadien du remplacement d'organes faisait mention de 1042 donneurs d'organes (vivants et décédés) et de 2127 greffes d'organes réalisées1, la grande majorité des dons d'organes consistant en des reins prélevés de donneurs décédés1. Aux États-Unis, les relevés montrent que la survie des patients et des greffons s'est améliorée pour presque chaque type d'organe entre 1999 et 20082*.

Compte tenu du nombre élevé de personnes qui reçoivent des greffes d'organes et du fait que les personnes greffées vivent aujourd'hui plus longtemps, les professionnels dentaires auront à dispenser des soins buccodentaires à un nombre croissant de patients faisant partie de cette population précise. Cet article examine le bien-fondé d'administrer une antibioprophylaxie avant un traitement dentaire invasif aux patients porteurs d'une greffe d'organe et d'implants mammaires.

Greffes d'organes pleins

Les fournisseurs de soins buccodentaires jouent un rôle important dans la prise en charge globale des patients qui ont subi une greffe d'organe plein. De fait, dans bon nombre de centres de greffes, l'examen des tissus durs et mous de la cavité buccale visant à déterminer l'état buccodentaire avant une greffe est souvent réalisé par un professionnel dentaire3. Dans les semaines et mois qui suivent la greffe, comme il y a souvent immunosuppression marquée du patient afin de prévenir le rejet du greffon, le risque d'infection (virale, bactérienne ou fongique) est préoccupant; durant cette période, il est donc recommandé de ne dispenser que les traitements dentaires urgents3,4. En général, le risque d'infection diminue à mesure que l'état du patient se stabilise durant la période post-greffe, et des soins buccodentaires peuvent alors être dispensés de façon plus régulière.

Les données en faveur de l'administration d'une antibiothérapie prophylactique avant un traitement dentaire, aux patients qui ont subi une greffe d'organe plein, sont extrêmement limitées3-6. En 2003, Guggenheimer et ses collègues3  ont indiqué que les lignes directrices postopératoires pour les personnes ayant reçu une greffe d'organe plein recommandaient souvent une antibiothérapie avant un traitement dentaire; cette recommandation n'est toutefois étayée d'aucune donnée basée sur des essais cliniques contrôlés et il n'y a pas consensus sur la question. Ces auteurs allèguent toutefois que, puisque les bactériémies provoquées par des procédures dentaires invasives représentent un risque important pour les patients immunodéprimés, une prophylaxie est habituellement recommandée.

Dans le cadre d'un sondage réalisé en 2005 sur les protocoles de soins buccodentaires utilisés dans les centres de greffes des États-Unis, 239 des 294 centres (83 %) ont dit recommander une antibiothérapie prophylactique avant un traitement dentaire dans le cas de patients qui avaient subi une greffe d'organe7.Ces résultats ne représentent toutefois pas un consensus, car le taux de réponse global au sondage n'a été que de 38 %. Les auteurs de l'étude ont réitéré qu'il n'existait à l'époque aucune donnée indiquant que la bactériémie transitoire consécutive à une procédure dentaire invasive représentait une menace supplémentaire pour les greffés immunodéprimés.

En 2007, un examen systématique par Lockhart et ses collègues5 a conclu qu'il est difficile de déterminer la probabilité qu'une intervention dentaire invasive soit la cause de morbidité ou de mortalité chez les patients immunodéprimés, et ces auteurs ont réparti leurs résultats comme suit : classe IIB (résultats dont l'utilité/efficacité n'est pas bien établie sur des données ou opinions) et niveau C (résultats basés sur l'opinion d'experts, des études de cas ou la norme de soins).

Dans un article récent, Scully et ses collègues8 recommandent d'administrer une antibiothérapie prophylactique aux patients qui ont reçu une greffe d'organe avant l'exécution d'une intervention dentaire invasive (en particulier durant les 6 mois suivant la greffe), sans toutefois citer de recherches fondées sur des données probantes pour étayer leur recommandation.

En 2007, l'American Heart Association (AHA) a publié des lignes directrices révisées sur la prévention de l'endocardite infectieuse, basées sur une démarche plus rigoureuse fondée sur des données probantes. Ces lignes directrices recommandent l'administration d'une antibioprophylaxie avant l'exécution de procédures dentaires précises chez des patients ayant subi une greffe cardiaque pour une valvulopathie cardiaque, afin de prévenir l'endocardite infectieuse9.Ces lignes directrices ont reçu l'aval des membres de la Société canadienne de cardiologie10.

Implants mammaires

Décrite pour la première fois par Czerny en 1895, l'augmentation mammaire est aujourd'hui la chirurgie esthétique la plus répandue chez les Américaines11. Les infections consécutives à une augmentation mammaire sont relativement peu fréquentes, et la plupart surviennent au début de la période postopératoire (c.-à-d. dans les 4 semaines qui suivent)12. La flore mammaire endogène, tels que Propionibacterium acnes et les staphylocoques à coagulase négative, a été mise en cause dans l'étiologie de ces types d'infections12.En se basant sur une expérience personnelle, Ellenbogen13 a formulé l'hypothèse d'une relation de cause à effet entre la prophylaxie dentaire et l'encapsulement rapide dans les semaines suivant l'intervention chirurgicale. Les infections tardives (survenant des mois à des années après l'implantation mammaire) sont encore moins fréquentes, le taux déclaré étant de 1:10 00012,14. La bactériémie provoquée par une procédure invasive ou une infection antérieure éloignée causerait un ensemencement de la capsule entourant l'implant mammaire ou de l'espace périprothétique12.

Peu d'articles publiés reconnaissent la bactériémie consécutive à une procédure dentaire comme étant l'étiologie d'une infection tardive d'implant mammaire. Durant une étude, Brand14 a relevé 2 cas d'infection tardive qui se seraient produits à la suite d'un épisode de stomatite bactérienne et après un traitement dentaire exhaustif. Dans les 2 cas, l'organisme causal s'est révélé être Staphylococcus aureus, un organisme considéré comme faisant partie de la microflore buccale normale15. S. aureus est l'agent microbiologique le plus souvent mis en cause dans les infections périprothétiques mammaires16. Hunter et ses collègues17 ont rapporté le cas d'une femme chez qui s'est manifestée une infection tardive d'un implant mammaire associée à Clostridium perfringens, à la suite d'un traitement dentaire exhaustif incluant le drainage d'un abcès, un traitement endodontique et la mise en place d'une couronne. Plus récemment, Chang et ses collègues12 ont fait état d'une infection mammaire tardive due à un staphylocoque à coagulase négative et à Streptococcus viridians, qui était apparue après une chirurgie parodontale visant à traiter une parodontite récidivante.

Recommandations cliniques

Antibioprophylaxie et greffes d'organes pleins

Sur la base des recherches actuelles fondées sur des données probantes, nous ne recommandons pas l'administration systématique d'une antibioprophylaxie avant un traitement dentaire invasif aux patients qui ont subi une greffe d'organe plein5,18. Les fournisseurs de soins buccodentaires devraient discuter de l'état de santé global du patient et des procédures dentaires prévues avec le médecin ou le chirurgien transplantologue (ou les deux) du patient, et la décision d'administrer une antibioprophylaxie devrait être prise au cas par cas6,18.Si une antibioprophylaxie est recommandée, le médicament (type, posologie et directives) devrait être prescrit par le médecin du patient. Si le patient a subi une greffe cardiaque, nous recommandons d'administrer une antibioprophylaxie conformément aux lignes directrices de 2007 de l'AHA9,10.

Antibioprophylaxie et implants mammaires

Sur la base des recherches actuelles fondées sur des données probantes et des rares études de cas, nous ne recommandons pas l'administration d'une antibioprophylaxie avant un traitement dentaire invasif aux patientes porteuses d'implants mammaires 6,18-20. Cependant, les patientes qui ont des antécédents de complications après une implantation mammaire, en particulier d'infections, pourraient avoir besoin d'une antibioprophylaxie avant un traitement dentaire invasif, et cette décision doit être prise en consultation avec le chirurgien de la patiente. Si une antibiothérapie est recommandée, le médicament (type, posologie et directives) devrait être prescrit par le chirurgien de la patiente.

*Les données et les analyses citées dans le 2009 Annual Report of the U.S. Organ Procurement and Transplantation Network and the Scientific Registry of Transplant Recipients ont été fournies par UNOS et Arbor Research dans le cadre d'un contrat passé avec HHS/HRSA. L'analyse et l'interprétation des données présentées dans cet article n'engagent que les auteurs; les vues exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement des États-Unis.



LES AUTEURS

Le Dr Stoopler est professeur agrégé en médecine buccale et directeur du programme de cycle supérieur de médecine buccale, Département de médecine buccale, École de médecine dentaire, Université de la Pennsylvanie, Philadelphie (Pennsylvanie).

La Dre Sia est résidente au Département de médecine buccale, École de médecine dentaire, Université de la Pennsylvanie, Philadelphie (Pennsylvanie).

Le Dr Kuperstein est professeur adjoint et directeur des cliniques de diagnostic, d'urgence et de radiologie buccales, École de médecine dentaire, Université de la Pennsylvanie, Philadelphie (Pennsylvanie).

Écrire au : Dr Eric T. Stoopler, University of Pennsylvania School of Dental Medicine, 240 South 40th Street, Philadelphia, PA 19104, USA. Courriel : ets@dental.upenn.edu

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a fait l'objet d'une révision par des pairs.

Références

  1. Institut canadien d'information sur la santé. Transplantations d'organes (Statistiques éclairs). Ottawa : ICIS. Disponible : http://www.cihi.ca/cihi-ext-portal/internet/fr/tabbedcontent/types+of+care/specialized+services/organ+replacements/cihi021362 (accédé le 7 décembre 2011).
  2. 2009 Annual report of the U.S. Organ Procurement and Transplantation Network and the Scientific Registry of Transplant Recipients: transplant data 1999–2008. Rockville, Md: United States Department of Health and Human Services, Health Resources and Services Administration, Healthcare Systems Bureau, Division of Transplantation; 2009. Disponible: www.ustransplant.org/annual_reports
    /current/default.htm
    (consulté le 10 novembre 2011).
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