Les traumatismes dentaires graves – qu'il s'agisse de luxations, de fractures ou d'avulsions – sont rares et surviennent de façon imprévue. Le dentiste qui doit traiter ces traumatismes a donc besoin de lignes directrices faciles à consulter. En 2011, l'International Association of Dental Traumatology (IADT) a révisé ses lignes directrices sur le traitement des traumatismes, dont la version précédente remontait à 2007. La version révisée comporte un certain nombre de changements qui concernent la prise en charge des dents permanentes et qui ont une incidence sur les aspects cliniques et médico-légaux de la pratique. Les lignes directrices peuvent être consultées sur le site Web de l'IADT1-3, où vous trouverez également un lien menant au Dental Trauma Guide4 qui fournit des renseignements détaillés et compatibles avec les lignes directrices de l'IADT sur le diagnostic et le traitement.
Ce qui est nouveau ou différent
Bien que bon nombre des modifications apportées à la version de 2007 touchent l'ensemble des traumatismes graves, les changements de loin les plus importants concernent l'avulsion.
L'examen radiographique laissé davantage à la discrétion du clinicien
La version précédente comportait des exigences relatives à l'examen radiographique, afin d'assurer la prise d'un nombre minimal de vues. Aujourd'hui, toutefois, il appartient de plus en plus au clinicien de déterminer le nombre et le type appropriés de vues, cette pratique s'inscrivant dans les efforts visant à réduire la radioexposition. On s'attend à des radiographies de qualité diagnostique, car elles sont importantes à la fois pour le diagnostic et la planification du traitement; mais celles-ci sont parfois difficiles à obtenir chez des préadolescents et des jeunes qui ont subi un traumatisme. De plus, le traitement de traumatismes dentaires fait souvent intervenir des tiers évaluateurs qui peuvent exiger une documentation objective du traumatisme.
L'antibiothérapie systémique n'est pas toujours bénéfique
Les avantages de l'antibiothérapie systématique doivent être soupesés en regard du risque d'exposition inutile. Il n'existe à l'heure actuelle aucune donnée corroborant les bienfaits de l'antibiothérapie systématique sur l'issue de la réimplantation. En revanche, les pédiatres et les dentistes pédiatriques sont de plus en plus préoccupés par l'exposition inutile aux antibiotiques; la décision du clinicien devrait donc être prise au cas par cas en tenant compte de l'état de santé de chaque patient.
Précisions quant au type de jumelages et à la durée d'utilisation
Le type de jumelage et sa durée d'utilisation varient selon le résultat escompté. Si le traitement vise à favoriser la régénération du ligament parodontal (LPD), le port d'un jumelage avec fil métallique flexible durant une courte période (jusqu'à 2 semaines) est recommandé. Si l'ankylose et la résorption radiculaire sont les résultats prévus, la durée est alors augmentée à 4 semaines et la rigidité a moins d'importance. S'il y a fracture radiculaire et qu'une guérison par deuxième intention est le résultat visé, les exigences relatives à la durée d'utilisation et à la rigidité du jumelage se comparent à celles qui s'appliquent dans les cas d'ankylose.
Au Hospital for Sick Children (SickKids), nous utilisons un jumelage en résine composite et fil orthodontique ou fil en titane.
Une évaluation continue de la vitalité pulpaire est nécessaire
La version révisée précise que les tests de vitalité pulpaire par stimulation électrique et au froid ne donnent pas toujours des résultats fiables au moment du traumatisme. Des suivis sont donc nécessaires pour confirmer un diagnostic de dent non vivante, et le diagnostic de nécrose pulpaire doit être basé sur au moins 2 signes ou symptômes.
Nous commençons les tests de vitalité quelques semaines ou mois après le traumatisme, ou dès l'apparition de signes radiologiques ou cliniques de douleur ou de tuméfaction.
Les dents avulsées ne seront plus jamais comme avant, quel que soit le traitement
Pour la première fois, les lignes directrices sur l'avulsion reflètent les résultats de plusieurs articles selon lesquels une réimplantation tardive (> 5 minutes) peut entraîner la perte de la dent. Cette question suscite de la confusion, car des dents réimplantées chez des adultes peuvent demeurer fonctionnelles pendant des décennies. Au cours des 20 dernières années, toutefois, les recherches ont établi une distinction entre les réimplantations pratiquées chez des patients de 7 à 16 ans (les plus sujets à l'avulsion) et celles réalisées chez des sujets dont la croissance faciale est terminée (jeunes adultes et adultes). L'extraction dans les 5 ans qui suivent le traumatisme est la norme pour les préadolescents, et ceci pourrait être dû à la résorption radiculaire ou à l'effet limitant des incisives ankylosées sur le traitement orthodontique. Les lignes directrices s'énoncent maintenant comme suit : « […] Il est important de réaliser que certaines dents réimplantées ont moins de chance de survie à long terme ou pourraient même ultérieurement être perdues ou devoir être extraites » (traduction).
Les dents ne se prêtent pas toutes à une réimplantation
La version révisée est la première à insister sur le fait que les dents ne devraient pas toutes être réimplantées et cite diverses raisons, dont les suivantes : présence de caries ou de maladies parodontales importantes, de graves troubles médicaux tels que l'immunosuppression ou de graves cardiopathies et non-coopération du patient. À cela s'ajoutent d'autres facteurs non mentionnés, notamment : un rapport couronne-racine défavorable, une importante malocclusion chez un préadolescent, une comminution marquée de l'os alvéolaire ou le défaut d'obtenir le consentement du parent ou du tuteur. Les lignes directrices rappellent également que les dents primaires ne devraient pas être réimplantées.
Les traitements radiculaires préalables à la réimplantation ne sont pas obligatoires
Les antibiotiques topiques et les bains de bouche au fluorure de sodium demeurent recommandés pour favoriser la revascularisation de la pulpe et la guérison parodontale, mais la version révisée précise clairement que les données à l'appui de ces pratiques sont expérimentales et ne sont basées que sur des études sur des animaux ou in vitro. Cette précision fait en sorte que les cliniciens qui n'ont pas accès à la minocycline, à la doxycycline ou à une solution de fluorure de sodium à 2 % ne s'exposent plus à l'allégation voulant que le défaut de dispenser ce traitement constitue une pratique en-deçà de la norme de soins. Selon la version révisée, le trempage de la racine dans le fluorure « ne devrait pas être considéré comme une recommandation absolue » (traduction).
Questions non résolues
Période extra-alvéolaire et régénération du ligament parodontal
Bien que les avulsions ne représentent qu'une faible proportion des traumatismes dentaires, cette révision porte principalement sur les questions liées à la réimplantation après une avulsion. La dent réimplantée ne peut guérir que s'il y a réparation ou régénération du LPD. Dans le premier cas, il y a ankylose et résorption radiculaire avec infraclusion de la dent si le patient n'a pas terminé sa poussée de croissance de l'adolescence, et la dent devra ultérieurement être extraite. Dans le deuxième cas, on obtient une dent qui présente quelques zones endommagées, mais dont le LPD est largement fonctionnel et la survie est normale.
Les lignes directrices sur le traitement de l'avulsion continuent de baser le traitement sur la maturité radiculaire (formation incomplète ou complète de la racine) et sur l'état du LPD relié à la racine. Le groupe de travail sur l'avulsion a défini la réimplantation immédiate comme celle pratiquée dans les 5 minutes qui suivent et a qualifié de non viable la réimplantation réalisée 60 minutes ou plus après un traumatisme (nécrose du LPD). Durant la période comprise entre 5 et 60 minutes, les cellules du LPD à la surface radiculaire sont viables mais altérées.
Si la dent est réimplantée à l'endroit du traumatisme, le traitement consiste ensuite à jumeler les dents. Si la formation radiculaire est incomplète, le clinicien peut choisir de suivre l'évolution pendant plus de 10 jours pour voir s'il y a des signes de revascularisation de la pulpe. Sinon, un traitement de canal devrait être instauré dans les 10 jours et avant le retrait du jumelage.
Le dentiste peut réimplanter une dent de 5 à 60 minutes après son avulsion (sous réserve des mises en garde précitées), puis pratiquer un traitement de canal dans les 10 jours qui suivent si la racine est complète, ou surveiller les signes de revascularisation pulpaire si la racine est immature. Si la période extrabuccale dépasse 60 minutes, le traitement consiste en un traitement de canal suivi du jumelage des dents, quelle que soit la maturité radiculaire.
Les lignes directrices de 2007 et de 2011 notent toutes deux qu'un traitement de canal extrabuccal pratiqué immédiatement avant la réimplantation est une solution de rechange qui peut être utilisée plutôt que d'attendre 10 jours. Cette pratique vise à prévenir la résorption inflammatoire et elle s'est révélée efficace, selon des études sur des humains.
Maturité radiculaire et vitalité pulpaire
La version de 2011 contient la mise en garde suivante : « Le risque de résorption radiculaire d'origine infectieuse [inflammatoire] devrait être soupesé en regard des chances de revascularisation. Une telle résorption est très rapide dans les dents des enfants. En l'absence de revascularisation, un traitement de canal peut être recommandé » (traduction). Ce risque de résorption radiculaire rapide et l'inconfort du patient sont les raisons pour lesquelles nous pratiquons un traitement de canal extrabuccal immédiatement avant la réimplantation chez la population pédiatrique du SickKids.
Variations dans les pratiques du SickKids par rapport aux lignes directrices de l'IADT
Deux types de guérison s'observent dans les cas de traumatismes par avulsion : la régénération et la résorption radiculaire. La régénération se produit lorsqu'il y a réimplantation immédiate (< 5 minutes). La résorption inflammatoire peut être contrôlée par un traitement de canal (pratiqué immédiatement ou dans les 10 jours), mais une résorption de remplacement persiste. En nous basant sur nos recherches et les résultats d'autres chercheurs, nous pratiquons un traitement de canal et éliminons le LPD nécrosé avant de réimplanter la dent, lorsque la période extrabuccale dépasse 5 minutes. L'élimination du LPD nécrosé est conforme aux principes de la guérison d'une plaie. Il arrive périodiquement qu'un fournisseur de soins ou un dentiste réimplante une dent avant de diriger le patient directement vers notre clinique. Si la période extrabuccale avant la réimplantation est prolongée, nous proposons 2 choix : jumelage de la dent et traitement de canal par étapes ou extraction de la dent puis traitement de canal et élimination du LPD nécrosé avant la réimplantation et le jumelage. Le résultat sera le même, mais la dernière solution permet d'éviter le traitement de canal intrabuccal et de réduire le nombre de visites. Nos procédures sont décrites sur le site Web de l'hôpital5.
Facteurs encore inconnus – D'autres recherches s'imposent
Nous croyons que le facteur le plus important est la période extrabuccale avant que les cellules souches de la surface radiculaire dans le LPD perdent leur capacité de reproduction, de différenciation en fibroblastes et de régénération (production d'un LPD fonctionnel). Le simple fait de prouver la vitalité des cellules du LPD ne garantit pas la régénération de ce ligament. Il semble y avoir consensus quant au bien-fondé d'éliminer les tissus nécrosés du LPD du côté radiculaire, mais la méthode idéale à utiliser à cette fin reste à déterminer. Nous avons démontré que près de la moitié du LPD est arrachée de la dent au moment de l'avulsion. Les zones dénudées deviennent propices à l'ankylose et la résorption, mais il n'existe aucune donnée pour ou contre le maintien du LPD nécrosé sur une dent réimplantée.
Avant la réimplantation, nous informons les parents qu'il s'agit d'une mesure temporaire qui vise à rétablir l'aspect normal du patient – l'un des principaux souhaits des parents. La réimplantation donne le temps d'organiser une consultation en orthodontie et permet à l'enfant de se faire à l'idée de la perte éventuelle (extraction) d'une ou de plusieurs dents.
AUTEUR
Références
- DiAngelis AJ, Andreasen JO, Ebeleseder KA, Kenny DJ, Trope M, Sigurdsson A, et al. International Association for Dental Traumatology guidelines for the management of traumatic dental injuries: 1. Fractures and luxations of permanent teeth. Dent Traumatol. 2012;28(1):2-12.
- Andersson L, Andreasen JO, Day P, Heithersay G, Trope M, DiAngelis AJ, et al. International Association of Dental Traumatology guidelines for the management of traumatic dental injuries: 2. Avulsion of permanent teeth. Dent Traumatol. 2012;28(2):88-96.
- Malmgren B, Andreasen JO, Flores MT, Robertson A, DiAngelis AJ, Andersson L, et al. International Association of Dental Traumatology guidelines for the management of traumatic dental injuries: 3. Injuries in the primary dentition. Dent Traumatol. 2012;28(3):174-82.
- Copenhagen University Hospital and the International Association of Dental Traumatology (IADT). Dental trauma guide; 2010. Disponible au : www.dentaltraumaguide.org (consulté de 25 juin 2012).
- The Hospital for Sick Children (SickKids). Resources for Dentists. Disponible au : www.sickkids.ca/Dentistry/Resources/index.html (consulté le 25 juin 2012).