Redonner nom aux disparus de Lac-Mégantic

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Tout a changé pour la population de Lac-Mégantic le 6 juillet dernier. Au petit matin, un train de la Montreal, Maine & Atlantic Railway Corporation déraillait en plein centre-ville, entraînant l’explosion d’un convoi de wagons-citernes contenant du pétrole brut. L’incendie qui s’en est suivi a ravagé le cœur de la petite municipalité et causé la mort de 47 personnes.

Les coroners et pathologistes se tournent souvent vers les odontologistes judiciaires pour identifier les victimes de pareilles catastrophes, puisque les dents résistent généralement bien au feu et à maints traumatismes. Alors que de nombreuses preuves physiques sont détruites par les flammes, la chaleur et l’eau, les dossiers dentaires deviennent l’un des principaux outils dont dispose le Bureau du coroner pour redonner nom aux disparus.

Identification de victimes : scénarios possibles*

La comparaison des données ante mortem et post mortem peut mener à quatre scénarios.

  1. Identification positive : Des éléments comparables (obturations, anomalies, trabécules osseux) sont suffisamment distincts dans les bases de données recueillies avant et après le décès permettant une identification hors de tout doute.

  2. Compatibilité : Des points communs existent entre les éléments comparables dans les bases de données recueillies avant et après le décès, mais le nombre et la qualité de ces points communs empêchent l’établissement d’une identification positive.

  3. Preuves d’identification insuffisantes : Il n’y a pas suffisamment d’éléments disponibles pour permettre la comparaison et l’identification positive.

  4. Exclusion : Des différences inexplicables existent entre les éléments comparables dans les bases de données recueillies avant et après le décès.

Dans les jours et semaines qui ont suivi la tragédie de Lac-Mégantic, une équipe de cinq odontologistes judiciaires du Québec a ainsi apporté son expertise à l’identification des corps calcinés des victimes. « Nous avons principalement utilisé les radiographies des dossiers dentaires des personnes portées disparues, afin de les comparer aux radiographies prises sur les restes humains retrouvés sur le site de l’explosion et de l’incendie », explique le Dr Sylvain Desranleau, spécialiste en odontologie judiciaire au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) du ministère de la Sécurité publique de la province de Québec. 

Les autres éléments d’enquête pouvant mener à l’identification des corps se sont faits plutôt rares. « Il arrive qu’on trouve sur un cadavre des pièces d’identité ou des objets personnels, ou encore que la dépouille arbore des tatouages facilitant son identification. On peut alors présumer de l’identité de la victime jusqu’à ce qu’il y ait identification formelle », de dire le Dr Desranleau. Or, dans le cas présent, l’incendie a emporté avec lui plusieurs preuves matérielles – d’où l’importance cruciale qu’a revêtue la comparaison des fiches dentaires.

Les dentistes du laboratoire d’odontologie judiciaire ont travaillé d’arrache-pied sur ce dossier, y consacrant plus de 12 heures par jour pendant un peu plus de deux semaines. Malgré la fatigue et la pression qui pesait sur leurs épaules, ils ont su maintenir un bel esprit d’équipe. « Notre désir commun de nous dévouer à l’identification d’un nombre maximum de cadavres nous a permis de tenir le coup », raconte le Dr Desranleau. « Nous voulions plus que tout permettre aux familles de faire leur deuil. »

Au moment de la publication, 39 victimes avaient officiellement été identifiées par le Bureau du coroner.

La tragédie de Lac-Mégantic est la pire sur laquelle l’équipe s’est penchée à ce jour. Le Dr Desranleau admet qu’il n’a pas été chose facile de séparer sa vie professionnelle de sa vie privée pendant les quelques semaines d’identification des dépouilles. « La partie plus difficile touchant ce dossier a été le maintien de la séparation travail-famille. Comment ne pas penser aux victimes et à l’enquête? De telles tragédies nous bouleversent inévitablement. »

Il va sans dire que côtoyer la mort de si près, surtout celle qui frappe de façon inattendue, change le regard qu’on porte sur la vie et sur l’importance de vivre pleinement. « La vie est très fragile et peut être très courte. Il est important de profiter de tous les moments qu’elle nous offre », de conclure le Dr Desranleau.

L’équipe du LSJML ayant participé à l’identification des victimes : (de gauche à droite) le Dr André Ruest; le Dr Robert B.J. Dorion; Yves « Bob » Dufour, directeur général du LSJML; la Dre Marie-Josée Perron; le Dr Sylvain Desranleau; le Dr Sylvain Laforte; Pascal Mireault, directeur de la Direction de la médecine légale et de la toxicologie du LSJML.

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* Adapté de : American Board of Forensic Odontology. Diplomates Reference Manual. [révisé en août 2013; consulté le 2013 Sep 6]. Disponible au : http://www.abfo.org/resources/abfo-manual/