Incidence de l’abandon d’un programme de fluoruration de l’eau potable au Canada : le point de vue de deux villes

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Dre Lindsay McLaren

Foule de collectivités aux quatre coins du Canada sont déchirées au sujet de l’efficacité de la fluoruration de l’eau de ville comme moyen de prévenir la carie dentaire. Une chercheuse de l’Université de Calgary, de concert avec une équipe d’experts en santé publique et en médecine dentaire, tente justement d’éclairer le débat en examinant si la décision de la Ville de Calgary de cesser de fluorer l’eau en 2011 s’est répercutée sur la santé buccodentaire des enfants calgariens. La Dre Lindsay McLaren, professeure agrégée au département des sciences de la santé communautaire à l’Université de Calgary et présidente désignée de l’Association pour la santé publique de l’Alberta, s’est entretenue avec l’ADC au sujet de sa recherche, qui vise à comparer le niveau de caries dentaires chez les jeunes de Calgary par rapport à celui des enfants d’Edmonton, une ville où l’eau est fluorurée.

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ADC : Pourquoi trouvez-vous qu’il est important de mener cette étude?

Dre Lindsay McLaren (LM) : Tout bien pesé, la recherche sur la fluoruration de l’eau potable pour des raisons de santé publique corrobore les avantages de la fluoruration pour prévenir la carie. Mais la situation peut évoluer au fil du temps. Il est donc important de continuellement mettre à jour la recherche.

La fluoruration de l’eau potable constitue un moyen d’action très efficace du fait que toute la population boit cette eau. C’est en bonne partie ce qui rend la fluoruration intéressante, ou inintéressante, selon le camp dans lequel on se situe. S’il y a un avantage à perdre, il faut le savoir pour que les futures décisions soient prises de manière éclairée. Je ne soutiens pas que nous allons effectivement relever un bienfait, mais s’il y en a un, il faut l’objectiver.

ADC : Pourquoi faut-il mettre à jour les données sur la fluoruration de l’eau?

LM : La plupart des recherches ont vraisemblablement été axées sur la période de lancement des programmes de fluoruration – quand les municipalités commencent à fluorurer l’eau – et sur les incidences sur la santé buccodentaire. Il y a beaucoup moins d’études sur l’abandon de la fluoruration. Il est également important de tenir compte du lieu et du moment des études. Par rapport aux années 1960 et 1970, nous sommes exposés à un nombre supérieur de sources de fluorure. L’état de santé buccodentaire de la population a aussi changé. Aux débuts de la fluoruration, dans les années 1940 et 1950, la carie dentaire était presque universelle chez les enfants, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La carie est toujours courante, mais certainement pas autant qu’aux débuts de la fluoruration.

ADC : Sur qui portera votre étude?

LM : Pour notre étude, nous ciblons les enfants de deuxième année (soit d’environ 7 ans). Nous avons choisi ce groupe parce que, généralement, les dents permanentes ont commencé à percer, ce qui nous permettra d’examiner à la fois les dents de lait et les dents permanentes. Nous effectuerons des évaluations de la santé buccodentaire de ces enfants, c’est-à-dire qu’une hygiéniste dentaire autorisée fera un examen visuel et tactile qui prendra une dizaine de minutes par enfant.

Chez un sous-échantillon d’enfants, nous allons aussi prélever des rognures d’ongles pour servir de biomarqueur qui nous permettra d’estimer la prise totale de fluorure. Du point de vue de la recherche, il est souvent bon d’avoir de multiples sources de données. Les rognures d’ongles serviront donc à corroborer ou à infirmer les résultats des évaluations buccodentaires.

Les parents devront aussi répondre à un questionnaire, qui vise essentiellement à en savoir davantage sur d’autres déterminants de la santé que la fluoruration de l’eau. Cette information sera prise en compte dans nos analyses.

ADC : Sur quoi porte le questionnaire remis aux parents?

L’alimentation; les habitudes d’hygiène buccodentaire – comme le brossage de dents et l’utilisation de la soie dentaire –; les rendez-vous chez le dentiste; la souscription à une assurance et, le cas échéant, le type d’assurance; la principale source d’eau potable; et la période depuis laquelle la famille habite à son adresse actuelle. Si celle-ci a déménagé depuis la naissance de l’enfant, elle doit préciser dans quelles autres collectivités elle a habité. Nous recueillerons aussi des données démographiques, comme le niveau de scolarité du ménage, si celui-ci est propriétaire ou locataire de son logement, le revenu médian du territoire de recensement où se situe l’école de l’enfant, et les origines ethnoculturelles de la famille.

ADC : Combien d’enfants examinerez-vous?

LM : Pour chacune des villes, nous comptons examiner plusieurs milliers d’enfants issus de quelque 150 écoles. La taille de notre échantillon est considérable. Nous  serons présents dans des écoles de Calgary et d’Edmonton pendant toute une année scolaire.

ADC : À quels résultats vous attendez-vous?

LM : En toute honnêteté, je n’en sais rien. Évidemment, je suis très très curieuse de voir. D’une part, j’ai l’impression que les recherches actuelles, somme toute, corroborent les effets bénéfiques de la fluoruration sur la santé buccodentaire. On pourrait donc s’attendre à constater une détérioration de la santé buccodentaire à Calgary en raison de l’abandon du programme de fluoruration de l’eau potable. D’autre part, les temps ont changé, et on ne peut tenir pour acquis que les résultats d’études antérieures tiennent toujours.

ADC : Croyez-vous que vos travaux de recherche influenceront le débat sur la fluoruration de l’eau potable?

Les données probantes ne constituent qu’un des aspects exerçant une influence sur les opinions qu’entretiennent certaines personnes au sujet de la fluoruration de l’eau. Notre étude n’abordera que cet aspect. Ceci dit, il n’est pas impossible que le conseil de la Ville de Calgary se penche attentivement sur nos résultats. Je ne sais pas ce qu’il en fera, mais je pense que notre recherche pourrait avantageusement faire partie des discussions.