SOMMAIRE
La stabilité d'une prothèse dentaire fait référence à sa résistance au déplacement sous l'effet de contraintes horizontales, de fonctionnement et de rotation. La stabilité d'une prothèse partielle amovible (PPA) dépend en grande partie de la qualité globale de l'ajustement aux dents et aux tissus de support. Bien que le défaut d'ajustement d'une PPA neuve puisse être dû à de nombreux facteurs, il est facile pour le dentiste de déterminer visuellement si le mouvement vertical est excessif. Ainsi, si une pression digitale exercée sur la dent la plus distale située sur l'extension distale de la prothèse provoque le soulèvement du reteneur indirect situé sur la partie la plus antérieure de la PPA, cela signifie que la PPA n'est pas stable et qu'il faudrait procéder à un regarnissage indirect (en laboratoire) ou direct (en cabinet) avec un matériau dur. Nous discutons dans cet article des facteurs qui peuvent influencer la nécessité de procéder à un regarnissage direct en cabinet avec un matériau dur, au moment de la livraison d'une PPA neuve avec extension distale, et nous recommandons des techniques à utiliser à cette fin.
Introduction
Une prothèse partielle amovible (PPA) sert à combler l'espace créé par des dents et des tissus buccaux absents, mais elle n'offre pas un élément de substitution parfait. Les patients doivent donc s'adapter à la présence de la prothèse et à tout mouvement susceptible de survenir durant sa mise en fonction. Nous présumons généralement que la prothèse doit, au moment de sa mise en bouche, satisfaire à des exigences fondamentales en matière de support, de rétention et de stabilité, mais il n'existe aucune norme précise à ce sujet liée à la satisfaction des patients1.
Une bonne planification et l'optimisation de l'état des dents et des tissus de support, avant la prise de l'empreinte finale, devraient favoriser la fabrication d'une prothèse qui offrira une assez bonne rétention et prendra appui sur une base saine. Il peut cependant être impossible d'obtenir une stabilité idéale (c.-à-d. aucun mouvement durant la mise en fonction) avec une PPA à extension distale. Cet article discute des facteurs susceptibles d'influencer la nécessité de procéder à un regarnissage direct en cabinet avec un matériau dur, au moment de la livraison d'une PPA neuve avec extension distale, et recommande les techniques à utiliser à cette fin.
Qu'entend-on par stabilité et pourquoi ce facteur est-il important?
La stabilité d'une prothèse dentaire fait référence à sa résistance au déplacement sous l'effet de contraintes horizontales, de fonctionnement et de rotation. La prothèse est supportée par l'assise sur laquelle elle prend appui (dents et tissus mous)2. La stabilité de la PPA dépend principalement de la qualité globale de l'ajustement à la base sur laquelle elle prend appui – tant dans les plans horizontal que vertical – ainsi que de la mobilité inhérente des dents et des tissus mous qui lui servent d'appui; il en va autrement de la prothèse partielle fixe qui, elle, est ancrée en place. Autrement dit, la non-stabilité d'une PPA peut être due à un mauvais ajustement, à un manque de support, ou aux deux. Si la PPA est entièrement dento-portée ou implanto-portée et que sa structure est bien ajustée et qu'elle a été bien conçue, elle devrait offrir une stabilité relativement bonne. Enfin, bien que la prothèse dépende principalement du support offert par les tissus mous, il importe également que l'armature soit bien ajustée, car ceci limitera considérablement les mouvements dans le plan horizontal (c.-à-d. mouvement latéral).
La reproduction des tissus buccaux et la fabrication d'une prothèse bien ajustée pour remplacer des dents et des gencives manquantes exigent un grand souci du détail. Rudd et Rudd3-5 ont analysé l'ensemble du processus et recensé 243 erreurs qui peuvent survenir durant la fabrication d'une PPA. Des erreurs survenant tôt durant la prise d'empreinte, de même que l'utilisation inadéquate des matériaux, peuvent causer la fabrication d'un modèle maître inexact. Même si l'on réussit à éviter les nombreux pièges et à produire une armature d'un ajustement acceptable, l'ajustement de la prothèse pourrait être altéré ultérieurement par des erreurs se produisant à l'étape de la fabrication et du polissage de la base de résine et de la mise en bouche de la part du dentiste (réduction excessive des zones de contre-dépouille et des bords de la base de la prothèse). Dunham et ses collègues6 ont examiné 50 armatures fabriquées pour des patients par un laboratoire dentaire de l'armée américaine et ont constaté que la plupart des appuis de ces armatures n'entraient pas en contact avec les surfaces dentaires prévues.
La stabilité verticale d'une PPA à extension distale dépend en partie de l'ajustement de l'armature mais surtout de l'étendue de la couverture et de la qualité de l'adaptation de la base de la prothèse aux tissus de support; la prothèse doit donc être testée en bouche. Si une pression du doigt exercée sur la dent la plus distale située sur la prothèse entraîne le soulèvement du reteneur indirect situé le plus vers l'avant, cela signifie que la PPA n'est pas stable dans le plan vertical (ill. 1). Ce manque de stabilité peut être dû à un mauvais ajustement de la prothèse aux tissus mous de support, à un léger mouvement inhérent (ou légère compression) de ces tissus, ou à ces deux facteurs. Il existe une procédure simple qui permet d'évaluer la qualité d'ajustement de la prothèse aux tissus mous : cette procédure consiste à appliquer une petite quantité de matériau d'empreinte à base de polyvinylsiloxane (sans utiliser d'adhésif) à l'intrados de la prothèse qui touche aux tissus, puis à placer la prothèse en bouche en maintenant l'armature bien en place. Lorsque le matériau d'empreinte a fini sa réaction de prise, la PPA est retirée et examinée. Les zones où le matériau d'empreinte est épais indiquent les endroits où il y a un espace entre la base en résine et les tissus mous; plus la couche de matériau est mince, meilleur est l'ajustement de la prothèse aux tissus mous sous-jacents.
L'importance de la qualité d'ajustement de l'extension distale aux tissus mous augmente à mesure qu'augmente la distance entre le point d'application de la force et la dent-support terminale. Comme les forces occlusales provoquent la rotation de la prothèse en créant un axe de rotation sur la ou les dents-support terminales, la pression la plus forte sera exercée sur le support le plus distal. La résorption continue de la crête résiduelle à la suite de la perte d'une dent varie en fonction de divers facteurs anatomiques, métaboliques et mécaniques7,8. Il serait donc prudent de réduire au minimum la pression et de la répartir sur une large surface afin de réduire l'influence des facteurs mécaniques au moment de la mise en place de la PPA, si des mouvements de rotation sont détectés. Selon la conception de l'armature et la rigidité des crochets, les mouvements de rotation de la prothèse peuvent aussi exercer des forces non axiales qui pourraient affaiblir une dent-support terminale déjà faible (ill. 2).
Qu'est-ce qui peut contribuer à la non-stabilité d'une PPA neuve à extension distale?
Certes, de nombreuses PPA à extension distale ont été fabriquées avec succès à partir d'empreintes exécutées en une seule étape par diverses méthodes. Cependant, comme l'armature de la PPA ne s'ajuste pas sur le modèle maître de la même manière que sur les dents-support, et que certains matériaux d'empreinte reproduisent les tissus durs et mous avec un niveau de précision qui varie, il est nécessaire de réaliser une deuxième empreinte avec l'armature en bouche lors de la fabrication d'une prothèse à extension distale2,9,10. La logique qui justifie cette procédure d'obtention d'un modèle maitre altéré (s'assurer que les relations dent-armature et armature-tissus mous sont exactes) semblent raisonnables; par contre comme cette technique d'obtention d'un modèle maitre altéré comporte des étapes supplémentaires il importe de les exécuter avec soin pour éviter d'introduire d'autres erreurs d'ajustement. De plus, il n'a pas été démontré que l'utilisation de la technique d'obtention d'un modèle maître altéré donne de meilleurs résultats cliniques que la technique d'empreinte en une étape, en ce qui a trait à l'ajustement et à la stabilité de la PPA à extension distale11.
Peu importe la méthode utilisée pour réaliser le modèle maître et la précision de ce modèle, la fabrication comportera toujours un certain pourcentage d'erreur. La grande majorité des bases des PPA sont faites de résine de poly(méthacrylate de méthyle) classique pressée et polymérisée à chaud, qui rétrécit d'environ 6 % durant la polymérisation12. De plus, la relaxation des contraintes résiduelles cause une légère distorsion de la base de la PPA (qui varie en fonction du volume ou de la forme) après le retrait de la PPA du modèle de fabrication13. L'absorption ultérieure d'eau par la résine entraînera une légère expansion qui peut compenser en partie, mais non en totalité, la contraction qui se produit durant la fabrication.
Bien que de nouvelles techniques de polymérisation réduisent le retrait à environ 3 %, les bases prothétiques en résine ne permettent pas d'obtenir un ajustement uniforme idéal sur les tissus de support14-16. Dans le cas d'une prothèse complète, un ajustement non uniforme, mais néanmoins assez fidèle de la surface interne de la prothèse, est habituellement acceptable sur le plan clinique (bien que les prothèses supérieures complètes requièrent l'ajout d'un scellement palatin postérieur), car la prothèse forme une unité occlusale unique qui se déplace comme un tout durant la mastication. En revanche, l'ajustement aux tissus d'une PPA à extension distale doit être optimal pour réduire au minimum la rotation de la base de la prothèse, qui exerce une pression inégale sur la crête résiduelle et des forces non axiales sur la ou les dents-support terminale(s).
Comment choisir entre le regarnissage direct ou indirect?
Lorsqu'une PPA à extension distale manque de stabilité verticale, un regarnissage indirect (en laboratoire) ou direct (en cabinet) devrait être envisagé. La première option nécessite la prise d'une empreinte, l'envoi de la prothèse à un laboratoire dentaire et sa mise en bouche durant une visite subséquente. Durant la prise d'empreinte, il faut demander au patient de bouger les lèvres et la langue pour aider à façonner le bord du matériau à empreinte et à définir les limites du regarnissage. Le technicien doit ensuite prendre soin de ne pas déformer ou endommager l'armature et il doit être absolument certain que le moufle est bien fermé pour éviter de modifier la relation armature-dent ou la dimension verticale d'occlusion17. À cela s'ajoutent un faible risque de distorsion de la base de résine sous l'effet de la chaleur de polymérisation et le risque que le technicien polisse trop les bords latéraux du regarnissage résultant ainsi en une PPA en sous-extension. L'occlusion, l'ajustement de l'armature et l'extension des bords devraient tous être réévalués au moment de la mise en bouche de la prothèse. Le regarnissage en laboratoire a l'avantage de produire un regarnissage de résine plus dense, plus solide et polymérisé plus en profondeur que le regarnissage direct18. Ses inconvénients tiennent au fait que cette technique requiert une séance de plus et augmente les coûts inhérents au travail fait en laboratoire.
Craig et Powers18 énoncent 4 critères principaux à respecter pour le regarnissage d'une PPA : bonne liaison chimique, résistance satisfaisante, absence de déformation ou de variation dimensionnelle de la prothèse et possibilité d'exécuter la procédure rapidement pour des raisons de commodité pour le patient. D'autres facteurs à considérer sont liés aux matériaux de regarnissage direct et incluent : la tolérance du patient au matériau (goût, température, odeur), la stabilité de la teinte, la durabilité, la facilité de manipulation et de polissage du matériau. Les premiers matériaux de regarnissage direct à base de méthacrylate de méthyle présentaient de nombreux problèmes et ont été qualifiés de «mesures provisoires»19. Les nouveaux matériaux durs pour regarnissage en cabinet qui sont offerts aujourd'hui ont été conçus pour réduire bon nombre de ces problèmes.
Le regarnissage en cabinet avec un matériau dur offre au praticien la possibilité de corriger sur-le-champ un problème clinique à un coût relativement faible et offre au patient un produit acceptable sur le plan clinique qui devrait avoir une durée de vie raisonnable selon l'entretien qui sera fait de la prothèse. Son inconvénient tient au fait que les matériaux utilisés sont quelque peu inférieurs aux résines polymérisées à chaud, car ils sont moins durs, plus poreux et plus souples et que leur teinte est moins stable. La polymérisation se fait également moins en profondeur, ce qui pourrait exposer le patient à du monomère résiduel pouvant potentiellement irriter la muqueuse buccale et causer une réaction allergique de faible intensité18-23. Bien que les résines polymérisées à chaud et les résines polymérisées à des températures plus basses contiennent toutes deux une certaine quantité de monomère résiduelle pouvant être cytotoxique à un degré qui varie en fonction de chaque patient, les dernières présentent un plus grand risque du fait que leur polymérisation est moins complète. Le risque pour la santé des patients est néanmoins considéré comme faible22. Il existe un large choix de matériaux durs pour regarnissage direct, notamment des matériaux autopolymérisables, photopolymérisables et à polymérisation double. Les matériaux photopolymérisables subissent habituellement une polymérisation plus complète et peuvent ainsi réduire l'exposition du patient à des composantes chimiques n'ayant pas réagi.
Qu'il s'agisse d'un regarnissage direct ou indirect, la base de résine doit être suffisamment réduite (~1 mm) pour que le matériau d'empreinte ou de regarnissage puisse s'écouler librement et former une couche uniforme (ill. 3)17. Pour un regarnissage direct, l'utilisation d'apprêts de surface (monomères ou solvants organiques habituellement fournis avec le produit) entraîne le gonflement de la résine de substrat, ce qui améliore la résistance d'adhésion du matériau de regarnissage (ill. 4)24,25. Le matériau de regarnissage direct devrait également s'écouler facilement pour réduire au minimum la déformation des tissus mous et durcir complètement dans un délai raisonnable pour permettre ensuite la finition (ill. 5 et 6).
Quelle technique devrait-on utiliser pour le regarnissage direct (ou l'empreinte de regarnissage)?
Christensen26 décrit une technique de prise d'empreinte bouche fermée, qui a été réalisée avec un matériau d'empreinte à haute viscosité pour faciliter le regarnissage indirect d'une PPA et qui a offert un ajustement presque optimal. Nous croyons toutefois que la technique bouche fermée devrait être utilisée avec prudence, car il peut y avoir rotation de l'extension distale si le patient ne ferme pas la bouche exactement dans l'occlusion souhaitée ou si le matériau d'empreinte n'offre pas suffisamment de résistance pour maintenir les appuis antérieurs parfaitement en place. Selon la viscosité et l'écoulement du matériau d'empreinte ou de regarnissage, l'occlusion de la PPA pourrait même comprimer de façon excessive les tissus mous et provoquer un léger soulèvement des appuis les plus postérieurs lorsque la prothèse n'est pas en fonction.
La meilleure façon pour le dentiste de s'assurer que tous les appuis demeurent parfaitement en place durant la prise de l'empreinte de regarnissage ou le regarnissage direct est de maintenir l'armature bien en place durant toute la procédure ou, tout au moins, jusqu'à ce que le matériau commence à prendre27. Si le regarnissage est fait en laboratoire, il faut demander au patient de bouger la langue et les lèvres durant la prise d'empreinte pour aider à façonner les bords du matériau de regarnissage. Pour obtenir les meilleurs résultats et réduire la possibilité qu'il soit difficile de retirer la prothèse, la polymérisation finale des matériaux de regarnissage direct devrait être faite hors bouche, en suivant les instructions du fabricant. Une fois le regarnissage (indirect ou direct) terminé, l'occlusion devrait être réévaluée et corrigée si elle a été légèrement modifiée. Les bords devraient aussi être vérifiés avec un matériau comme une pâte indicatrice de pression, pour s'assurer que l'extension n'est pas excessive. Le but ultime est d'obtenir un soutien optimal des tissus mous offrant une relation dent-armature idéale et une PPA à extension distale stable dans le plan vertical27. Dans le cas d'une prothèse amovible, le regarnissage devrait être évalué périodiquement (tous les 6 mois ou plus selon le patient) pour s'assurer qu'il n'y pas eu dégradation et pour examiner les tissus afin de déterminer si un nouveau regarnissage est nécessaire.
À notre avis, aucun mouvement durant la mise en fonction de la PPA n'est souhaitable. Nous reconnaissons également qu'il est parfois souhaitable d'utiliser un matériau de regarnissage mou et résilient pour favoriser l'engagement dans les zones de contre-dépouille et la couverture de la muqueuse non attachée ou pour mieux répartir les forces fonctionnelles; ce type de matériau permet toutefois de légers mouvements de la PPA. En général, ces matériaux procurent de nombreux avantages, mais n'ont pas la durabilité, la facilité de nettoyage, la stabilité dimensionnelle, la stabilité de teinte et la durabilité des matériaux de regarnissage durs28. Nous estimons donc qu'ils ne devraient pas être utilisés de façon arbitraire.
Conclusion
D'un point de vue biologique et mécanique, il est souhaitable d'obtenir un support, une rétention et une stabilité optimums au moment de la mise en bouche d'une PPA. De nombreux facteurs peuvent toutefois altérer la stabilité d'une PPA neuve à extension distale. Bien que le regarnissage direct en cabinet par un matériau dur ne soit pas idéal, il peut s'avérer la solution la plus simple, la plus pratique et la plus précise pour assurer au patient (et au client) une prothèse stable dans le plan vertical.
LES AUTEURS
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