SOMMAIRE
Puisqu'une dissection de l'artère vertébrale peut causer un accident vasculaire cérébral, elle doit être identifiée et traitée sans tarder. Le lien entre la dissection de l'artère et les procédures dentaires a déjà été observé. Dans le présent article, nous décrivons le cas d'un patient qui a souffert d'une dissection de l'artère vertébrale et d'un accident ischémique de la circulation postérieure à la suite d'une procédure dentaire. L'évolution clinique, les observations radiologiques et la prise en charge sont décrits et la littérature sur les dissections vertébrales est examinée.
Introduction
La dissection d'un vaisseau fait référence à une déchirure qui provoque l'introduction de sang dans la paroi d'une artère sous pression et la rupture des tuniques (couches) de la paroi. Il en résulte, soit un rétrécissement aigu de la lumière du vaisseau qui cause une obstruction ou une sténose, soit une dilatation de la paroi artérielle dans la zone atteinte qui mène à la formation d'un anévrisme. Si la déchirure se situe sous l'intima, la dissection provoque un rétrécissement de la lumière et une occlusion.
La dissection de l'artère vertébrale (DAV) d'origine traumatique est une importante cause d'accident vasculaire cérébral (AVC) chez des personnes par ailleurs en bonne santé, qui n'ont pas de facteurs de risque connus d'AVC. L'incidence annuelle moyenne de la DAV varie de 1,0 à 1,1 pour 100 0001. La DAV peut être causée par des procédures dentaires qui requièrent une extension prolongée du cou; son diagnostic est basé sur les observations cliniques et radiologiques. Nous décrivons dans cet article le cas d'un patient qui a souffert d'une DAV et d'un accident ischémique de la circulation postérieure à la suite d'une procédure dentaire.
Étude de cas
Un homme de 63 ans jusque-là en bonne santé a subi une obturation dentaire durant laquelle son cou a été maintenu en extension et en rotation pendant environ 1,5 heure. Bien que la procédure dentaire se soit déroulée sans incident, l'homme a ressenti le soir même d'intenses céphalées avec élancements diffus d'apparition brutale ainsi que des douleurs cervicales du côté gauche, accompagnées de plusieurs épisodes de vomissements. Les symptômes s'intensifiaient lorsque le patient tournait la tête d'un côté ou de l'autre. Environ 5 heures plus tard, le patient a constaté une perte d'équilibre et une incoordination en marchant. Le lendemain matin, le patient s'est rendu à la salle d'urgence. À l'examen neurologique, le patient était éveillé et conscient; il avait une démarche ataxique mais ne présentait aucun autre déficit neurologique. L'examen physique général et l'examen systémique étaient normaux.
La tomodensitométrie cérébrale n'a rien montré d'anormal, mais l'angiographie par tomodensitométrie de la tête et du cou a révélé la présence d'un thrombus à long segment de l'artère vertébrale s'étendant du point d'origine de l'artère jusqu'au milieu du segment V4 (ill. 1a). Le thrombus s'étendait également dans l'artère sous-clavière proximale. Le patient ne présentait pas de facteurs de risque d'athérosclérose vasculaire (p. ex., hypertension, diabète, coronaropathies, dyslipidémie ou tabagisme) et n'avait pas d'antécédents familiaux de dissections. Sur la base des symptômes observés (douleurs cervicales et céphalées) et de la relation temporelle entre la manifestation des symptômes et l'extension prolongée du cou durant la procédure dentaire, un diagnostic de DAV menant à un accident ischémique cérébral postérieur a été posé. Le bilan sanguin du patient (hémogramme, bilan lipidique, bilan de thrombophilie, homocystéine et autres analyses biochimiques) était normal et l'électrocardiogramme et l'échocardiogramme n'ont rien montré de particulier.
Une perfusion intraveineuse continue d'héparine a été administrée au patient, conformément au protocole standard utilisé à l'unité des accidents vasculaires cérébraux dans les cas d'AVC. Le lendemain, les céphalées, les vomissements de même que l'engourdissement et l'incoordination du côté gauche se sont intensifiés. À l'examen, les nerfs crâniens étaient normaux, mais le patient était incapable d'exécuter les épreuves doigt-nez et talon-genou du côté gauche; il présentait une perte de sensibilité tactile et une diminution du sens de position des articulations du côté gauche ainsi qu'une diminution de la sensibilité à la piqûre d'épingle du côté droit. Un infarctus dans la zone de l'artère cérébelleuse inférieure et postérieure gauche, apparaissant comme une zone claire sur l'image de diffusion, a été détecté à l'imagerie par résonance magnétique du cerveau (ill. 1b). L'angiographie par résonance magnétique (ARM) a révélé une occlusion de l'artère vertébrale gauche (ill. 1c).
De l'acide acétylsalicylique (AAS; 81 mg/j) et du clopidogrel (75 mg/j) ont été ajoutés à l'héparine; cette combinaison a ensuite été remplacée par de la warfarine. Durant la semaine qui a suivi, l'état du patient s'est amélioré de façon soutenue et le patient a été transféré au service de réadaptation pour de légers signes cérébelleux et déficits sensoriels du côté gauche.
Discussion
Des cas d'ischémie artérielle vertébro-basilaire consécutive à une procédure dentaire ont déjà été décrits dans la littérature2,3 et plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer l'ischémie associée à des manipulations cervicales. La rotation du cou de quelque côté, de même que la flexion ou l'extension, peuvent causer des changements hémodynamiques pouvant réduire l'apport sanguin du double ou du triple. Les spasmes et les dissections artériels sont d'autres mécanismes importants.
L'artère vertébrale est extrêmement sensible aux lésions de torsion, du fait qu'elle s'enroule autour de l'atlas à son entrée dans le crâne. Toute rotation abrupte du cou peut donc étirer l'artère et en déchirer la délicate intima4. Sur le plan anatomique, l'artère cérébrale se divise en 4 segments, soit : V1 qui va du point d'origine de l'artère à son entrée dans le trou transversaire des vertèbres cervicales; V2 qui traverse les vertèbres cervicales; V3 qui sort du trou transversaire et perce la dure-mère avant d'entrer dans le crâne et V4, la portion intracrânienne. Les dissections se produisent principalement au niveau de V2 et V3.
Les céphalées et les douleurs cervicales sont d'importants symptômes avant-coureurs de la dissection, des céphalées étant observées dans près des deux tiers des cas alors que les douleurs cervicales sont présentes dans la moitié des cas3. L'hyperextension du cou est considérée comme un important facteur de prédisposition à la dissection de l'artère vertébrale, et un stress mécanique même léger, subi dans les 24 heures précédentes, peut être un élément déclencheur de la dissection de l'artère cervicale5. Des traumatismes mineurs à répétition ont aussi été mis en cause. Notre patient avait eu 2 traitements en cabinet dentaire au cours des 3 semaines précédentes, chacun d'une durée de 60 minutes.
Les diverses méthodes de diagnostic de la dissection de l'artère cervicale sont l'angiographie par tomodensitométrie, l'ARM, l'échographie Doppler des vaisseaux et l'angiographie numérique avec soustraction (ANS) classique. Selon les rapports, l'ARM serait aussi exacte que l'ANS4. Parmi les irrégularités de la paroi vasculaire pouvant être révélées par l'ARM, on retrouve l'hyposignal ou l'absence de signal, une dilatation anévrysmale de la paroi vasculaire, un hématome intramural ou un lambeau intimal3.
Le traitement des dissections symptomatiques consiste généralement en l'administration d'anticoagulants – en l'occurrence de l'héparine durant la phase aiguë suivie d'anticoagulants par voie orale pendant environ 3 mois pour prévenir les complications thromboemboliques. L'ARM peut être répétée après 3 mois pour évaluer la guérison du vaisseau et le rétablissement du débit sanguin. Si le vaisseau demeure thrombosé, le patient peut à ce stade passer à l'AAS ou continuer la prise d'anticoagulants par voie orale pendant 3 autres mois avant de passer à l'AAS par voie orale.
En général, le pronostic de la dissection est bon, bien que certains facteurs, notamment le degré d'ischémie et la dynamique de la circulation collatérale, jouent un rôle important6. Des interventions endovasculaires, comme l'implantation d'une endoprothèse, doivent être envisagées si le patient ne réagit pas bien au traitement conservateur et qu'il demeure symptomatique.
Conclusion
Des traumatismes en apparence sans importance, comme une extension prolongée du cou durant une procédure dentaire, peuvent causer une dissection artérielle et des accidents ischémiques cérébraux. Il faut donc faire preuve d'un haut degré de suspicion afin d'assurer un diagnostic rapide, notamment en présence de céphalées, de douleurs cervicales et de vomissements à répétition. Tout retard dans l'établissement du diagnostic ou dans l'instauration du traitement approprié chez des patients symptomatiques pourrait entraîner une importante ischémie causée par une embolie due à la présence d'un thrombus dans la paroi vasculaire ou causer l'extension du thrombus en aval avec des conséquences potentiellement catastrophiques. Cependant, avec le bon traitement, le pronostic de cet état est généralement bon.
LES AUTEURS
Références
- Kim YK, Schulman S. Cervical artery dissection: pathology, epidemiology and management. Thromb Res. 2009;123(6):810-21.
- Machado DM, Gomez RS, Gomez RS. Vertebrobasilar ischemia after a dental procedure. J Oral Maxillofac Surg. 1999;57(12):1463-5.
- Prabhakar S, Bhatia R, Khandelwal N, Lal V, Das CP. Vertebral artery dissection due to indirect neck trauma: an underrecognised entity. Neurol India. 2001;49(4):384-90.
- Norris JW, Beletsky V, Nadareishvili ZG. Sudden neck movement and cervical artery dissection. The Canadian stroke consortium. CMAJ. 2000;163(1):38-40.
- Dittrich R, Rohsbach D, Heidbreder A, Heuschmann P, Nassenstein I, Bachmann R, et al. Mild mechanical traumas are possible risk factors for cervical artery dissection. Cerebrovasc Dis. 2007;23(4):275-81.
- Schievink WI. Spontaneous dissection of the carotid and vertebral arteries. N Engl J Med. 2001;344(12):898-906.